ssassinat
politique, meurtre passionnel ou simple drame domestique ? Avec de
longs cheveux, un crâne momifié et du jus de putréfaction recueilli au
fond d'une urne funéraire de simple grès, voilà dissipé ou presque
le mystère qui depuis cinq siècles entoure la mort brutale d'Agnès
Sorel, favorite de Charles VII le roi qui doit tant à Jeanne d'Arc.
Samedi à Loches (Indre-et-Loire), devant un ministre, un Orléans, un
Bourbon et un chroniqueur mondain, le Dr Philippe Charlier,
anatomo-pathologiste du CHRU de Lille, a pu reconstituer la vie et la
terrible agonie de la dame de coeur du roi de France : six mois
d'analyse des restes mortuaires ont révélé la cause du «flux de ventre» qui emporta la belle en trois jours. Et empoisonnement il y eut bien.
Tourisme.
Longtemps, l'énigme avait laissé princes et historiens indifférents, la
disparition d'Agnès Sorel dans sa vingt-sixième année n'ayant engendré
aucune querelle de pouvoir ou d'héritage. La manne touristique a changé
la donne. En juin 2004, le conseil général d'Indre-et-Loire saisit
l'occasion du retour programmé du tombeau Sorel dans la collégiale
Saint-Ours de Loches, après 196 ans de pérégrinations, pour confier à
une équipe scientifique le soin d'authentifier la dépouille. Pour la
première fois en France, l'exploration scientifique est alors mise au
service de la promotion du patrimoine.
Les chercheurs ont
travaillé à partir d'un poil de l'aisselle. Dans ce phanère (le poil),
l'analyse est formelle : aucune trace d'arsenic mais une quantité
astronomique de mercure. «Agnès Sorel a été victime d'une intoxication aiguë au mercure qui l'a foudroyée en moins de 72 heures», a
pu affirmer, samedi, Philippe Charlier. Les scientifiques n'en sont pas
restés là. Au XVe siècle, le mercure est un poison prisé, mais pas
seulement. L'analyse paléo-parasitologique a confirmé leurs soupçons :
Agnès Sorel souffrait d'ascaridiose, une infection parasitaire
intestinale douloureuse. Pour venir à bout de ces désagréables vers
blancs, il était alors fréquent d'utiliser des sels de mercure, purge
associée à de la fougère mâle, réputée paralyser les lombrics. «La posologie adéquate était bien connue depuis l'Antiquité», raconte
Philippe Charlier. Or Agnès Sorel aurait ingéré de l'ordre de 10 000
fois la dose traditionnellement prescrite. Pourtant, le doute subsiste.
Le mercure était aussi utilisé pour soulager les parturientes en cas
d'accouchement difficile et la belle venait de mettre au monde un
enfant prématuré de sept mois.
Décolletés épaules nues.
Alors, erreur thérapeutique ou meurtre prémédité ? Impossible pour les
scientifiques de trancher. Seule certitude : la favorite dérangeait à
son époque. Au grand dam des moralistes, la jeune fille désargentée de
petite noblesse était devenue la première maîtresse officielle de
l'histoire de la royauté. A 18 ans, Agnès Sorel a imposé un train de
vie fastueux à la cour de France, les premiers décolletés épaules nues
et une liberté de moeurs jugée scandaleuse. Le roi l'a couverte de
bijoux, l'a faite châtelaine de Loches, dame de Beauté-sur-Marne (d'où
son nom de dame de Beauté) et comtesse de Penthièvre. Surtout, Charles
VII a reconnu les trois filles qu'elle lui a données entre 18 et 20
ans, qui portent donc toutes le nom de Valois. Le dauphin, futur Louis
XI, a mal supporté cette femme qui éclipsait sa propre mère, Marie
d'Anjou. Il l'a même poursuivie un jour, l'épée à la main, dans la
maison royale. Cet éclat lui a valu d'être chassé de la cour...
Pourtant, c'est Jacques Coeur, grand argentier du roi et amant présumé
de la belle, qui a été soupçonné du pire, avant d'être acquitté.
Morte,
Agnès Sorel n'en a pas fini avec l'outrage. Inhumée dans la collégiale
de Loches, à peine son roi disparu, on veut l'expulser de son caveau :
les chanoines, peu soucieux de conserver la scandaleuse dépouille dans
le coeur de leur abbaye, réclament, en effet, l'autorisation de la
déplacer. Ils y renoncent sur ordre du roi Louis XI.
Vol.
En 1777, Louis XVI lève l'interdit. L'errance posthume d'Agnès Sorel
commence. A la fin du XVIIIe siècle, les révolutionnaires profanent le
gisant qu'ils croient être celui d'une sainte, puis ils mettent les
restes dans une urne qu'ils jettent le long du mur de l'abbaye. Le 21
prairial, an III, un soldat rouvre l'urne, pique des cheveux et des
dents comme autant de reliques monnayables. En 1801, un vase funéraire
est retrouvé et remis dans le tombeau restauré au logis royal, devenu
sous-préfecture de Loches. Celui d'Agnès Sorel ? Avec les travaux de
Charlier, on en a désormais la certitude. Mais il planera toujours un
doute: l'empoisonnement fut-il volontaire ou non?