Conte de Noël

En ce jour de Noël, et puisque nous commémorons le centenaire de la Grande Guerre, la « Der des Der », j’ai préféré remplacer le traditionnel conte de Noël par ce récit au contraire très réel, de la « Trêve de Noël ».

La Trêve de Noël est un terme utilisé pour décrire plusieurs et brefs cessez-le-feu non officiels qui ont eu lieu pendant le temps de Noël et le Réveillon de Noël entre les troupes allemandes, britanniques et françaises dans les tranchées lors de la Première Guerre mondiale, et en particulier le jour de Noël 1914.

Du 6 au 12 septembre 1914, lors de la première bataille de la Marne, les Français et les Britanniques réussissent à forcer une retraite allemande au nord de la rivière Aisne, instituant les débuts d’un front statique à l’Ouest qui durera trois ans. Les soldats du front occidental sont épuisés et choqués par l’étendue des pertes humaines qu’ils ont subies depuis le mois d’août.

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Les troupes anglaises et allemandes se rencontrent

Au petit matin du 25 décembre, les Français et les Britanniques qui tenaient les tranchées autour de la ville belge d’Ypres entendirent des chants de Noël (Stille Nacht) venir des positions ennemies, puis découvrirent que des arbres de Noël étaient placés le long des tranchées allemandes. Lentement, des colonnes de soldats allemands sortirent de leurs tranchées et avancèrent jusqu’au milieu du no man’s land, où ils appelèrent les Britanniques à venir les rejoindre. Les deux camps se rencontrèrent au milieu d’un paysage dévasté par les obus, échangèrent des cadeaux, discutèrent et jouèrent même au football.

L’État-major, forcément très mécontent de cet élan de fraternité « déplacé », fit donner l’artillerie les jours suivants pour disperser les groupes fraternisant, et fit déplacer les Unités « contaminées » sur les zones de combat les plus dures.

Treve_1914_5Malgré la destruction des photos prises lors de cet événement, certaines arrivèrent à Londres et firent la une de nombreux journaux, dont celle du Daily Mirror, portant le titre An historic group: British and German soldiers photographed together le 8 janvier 1915. Aucun média allemand ou français ne relate cette trêve.

Voici des extraits d’une lettre d’un soldat britannique à sa sœur (copyright Aaron Shepard), lettre qui relate cette trêve et que j’ai souhaité partager avec tous les lecteurs de PHILAPOSTEL Bretagne :

Ma chère sœur Janet,

Il est 2 heures du matin et la plupart de nos hommes dorment dans leurs abris – mais moi je ne peux pas dormir avant de t’avoir raconté les merveilleux évènements qui se sont passés cette veille de Noêl. A vrai dire, ce qui est arrivé semble être un conte de fées, et, si je ne l’avais pas vécu moi-même, j’aurais du mal à y croire. […]
Comme j’ai écrit précedemment, ces derniers temps il n’y a pas eu de combats sérieux. […] La pluie est tombée presque tous les jours et s’est accumulée dans la tranchée. Nous avons du l’évacuer avec nos gamelles. Et avec la pluie la boue s’est installée, une bonne couche de boue qui couvre et éclabousse tout et qui se colle à nos bottes. […] Hier matin, la veille de Noêl, nous avons eu droit à notre premiere gelée. Tout était recouvert de gelée blanche, et le soleil brillait sur tout. Un vrai temps de Noêl !

Pendant la journée il y a eu peu de bombardements et d’échanges de tir. Et comme le soir tombait pour la veillée de Noêl, les tirs ont cessé complètement. Un silence total, le premier depuis des mois ! Nous espérions une journée de fête calme sans trop y compter, car on nous avait mis en garde sur la possibilité d’une attaque allemande visant à nous prendre par surprise.

Je suis allé à l’abri pour me reposer et, couché sur mon paleteau, j’ai dû m’endormir. Brusquement, mon ami John m’a réveillé en me secouant, me disant : « viens voir ce que les allemands sont entrain de faire ! ». J’ai pris mon fusil, suis sorti dans la tranchée et j’ai passé ma tête avec précaution par dessus des sacs de sable. Je n’avais jamais espéré voir une telle vue, étrange et agréable à la fois. Des tas de petites lumières brillaient tout le long de la ligne allemande, de gauche à droite aussi loin que les yeux pouvaient voir.  

Treve_1914_6Et oui c’était bien des sapins de Noêl que les allemands avaient placés devant leurs tranchées, avec des bougies ou lanternes qui éclairaient. Et puis nous avons entendu leur voix chantant : « Stille nacht, heilige nacht … « . Ce chant de Noêl ne nous était pas trop connu en Angleterre, mais John nous a traduit « douce nuit, sainte nuit… » Je n’ai jamais entendu rien de plus agréable, plus sensé dans cette nuit calme et claire, légèrement éclairée par un quartier de lune. Une fois les chants terminés, les hommes dans nos tranchées ont applaudi. Oui, des soldats britanniques ont applaudi des allemands ! […]
Des britanniques et des allemands qui chantaient à l’unisson au dessus du « no man’s land » ! Rien de plus surprenant , et pourtant la suite allait l’être encore plus.

« Anglais venez ici ! » nous avons entendu l’un d’entre eux dire. « Vous ne tirez pas, nous ne tirons pas ! ». Dans la tranchée nous nous sommes tous regardés avec surprise. Puis l’un d’entre nous a crié en blaguant : « vous venez ici ». A notre grande surprise, on a vu deux silhouettes au dessus de leur tranchée, enjamber les barbelés et s’avancer sans protection dans le no man’s land. L’un des deux a dit « envoyer un officier pour parler ». J’ai vu l’un de nos hommes préparer son fusil et d’autres faire de même mais notre capitaine a crié « ne tire pas ». Puis il a grimpé par-dessus le bord de notre tranchée pour rejoindre les allemands à mi-chemin. Nous les avons entendu parler et quelques minutes plus tard le capitaine est revenu avec un cigare allemand à la bouche. […]

Treve_1914_2De l’autre côté on pouvait voir des groupes de deux ou trois sortant des tranchées et venant vers nous. Puis certains d’entre nous sont également sortis et en quelques minutes des centaines de soldats et officiers de chaque côté se serraient la main dans le no man’s land alors qu’ils avaient essayé de se tuer quelques heures auparavant. Rapidement un feu de camp a été allumé, et nous nous sommes assis ensemble autour. […]

Même ceux qui ne pouvaient pas discuter pouvaient néanmoins échanger des cadeaux – nos cigarettes pour leur cigares, notre thé pour leur café, notre bœuf en daube pour leurs saucisses. Des décorations et des boutons ont changé d’uniformes et l’un des nôtres s’est promené avec l’un de ces horribles casques à pic ! j’ai moi-même échangé un couteau de poche pour une ceinture en cuir. Un beau souvenir à montrer quand je rentrerai à la maison.

Les journaux aussi ont changé de mains et les allemands se sont tordus de rire en lisant les nôtres. Ils nous ont assuré que les français été finis et les russes presque vaincus. Nous leur avons dit que c’était des bêtises et l’un d’entre eux a dit « vous croyez vos journaux et nous croirons les nôtres ». Vraiment on leur ment ! Mais après ces rencontres, je me demande jusqu’à quel point nos journaux nous disent la vérité. Ils ne sont pas les « barbares sauvages » sur lesquels on a tant lu. Ce sont des hommes avec des familles, des espoirs et des peurs, des principes et aussi l’amour de leur pays. En d’autres termes, des hommes comme nous. Pourquoi on veut nous faire croire autrement ?

Treve_1914_4Alors qu’il se faisait tard, quelques chants supplémentaires ont été entonnés autour du feu, et puis tous se sont joints pour un dernier chant. Nous nous sommes ensuite séparés en nous promettant d’autres conversations et peut être même un match de foot demain.

Alors que je me dirigeais vers nos tranchées, un vieil allemand m’a dit me serrant le bras: « pourquoi nous ne pouvons pas avoir la paix et rentrer chez nous ? » Je lui ai répondu gentiment : « il faut poser la question à votre empereur. » Il m’a regardé et après avoir réfléchi, il m’a répondu « peut être bien mon ami, mais, nous devons aussi nous poser la question dans nos cœurs ».

Ainsi ma chère sœur, il y a t-il déjà eu un tel Noël dans l’histoire ? Et qu’est ce que cela veut dire cette impossibilité de devenir ami avec nos ennemis ? […]

Ton frère qui t’aime

Tom

Treve_1914_3Bon Noël à toutes et tous !

Voir aussi une autre lettre sur cette Trêve de Noël
Sources : Wikipédia, aaronshep.com

Une réflexion au sujet de « Conte de Noël »

  1. Très beau conte de Noël, belle lettre qui nous permet un beau témoignage où malheureusement de nombreux jeunes, partis la fleur au fusil, ne sont pas revenus.
    A l’époque, ces quelques moments de répit ont été un sacré cadeau de noël, plus de bruits de guerre et finalement, ils se posent la question : à quoi sert cette guerre ?
    beau témoignage

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