Etude de cas : le fort de Lanvéoc

Robert Fontaine, fidèle lecteur de PHILAPOSTEL Bretagne, nous propose cette étude de cas : Le fort de Lanvéoc dans la péninsule de Crozon (29), était un lieu d’internement (prison) pour civils pendant la guerre de 1914-1918, en atteste ce courrier du 19-12-1914 :

Lanveoc1Cette carte est donc écrite par un interné en décembre 1914, et adressée à un membre du gouvernement, en Hongrie, via le comité international de la Croix-Rouge à Genève … Trois questions se posent aux philatélistes à propos de cette carte :
– Pourquoi n’y a -t-il pas de marque de contrôle de la censure ?
– Pourquoi le cachet « Ministre des Affaires Etrangères » y figure t-il ?
– Et pourquoi cette carte ne bénéficie t-elle pas de la Franchise postale ?

Contrôle de la Censure et cachet du Ministère

En décembre 1914, il n’y a pas encore de contrôle postal organisé en France : il n’est donc pas étonnant de ne trouver aucune marque de contrôle sur cette carte. Concernant le courriers des internés civils, avant une circulaire du 26 novembre 1914, le courrier était contrôlé par les préfets puis transmis à l’étranger par valise diplomatique, et après cette date, toujours contrôlé par les préfets, puis remise à la poste. Que dit cette circulaire ?

Circulaire du 26 novembre 1914 relative au traitement applicable aux correspondances émanant ou à destination des sujets allemands ou austro-hongrois évacués dans les dépôts de l’intérieur.

« Par une communication du 20 septembre dernier, vous avez été invité à établir tous les jours une relève des objets de correspondance adressés aux sujets allemands ou austro-hongrois évacués dans les dépôts de l’intérieur et à présenter ce relevé au préfet qui pouvait, le cas échéant, exercer le droit de saisie prévu par l’article 10 du Code d’instruction criminelle. D’autre part, la correspondance expédiée par les évacués ne pouvait s’effectuer que par cartes postales remises au préfet et les objets à destination de l’étranger devaient être acheminés par la voie diplomatique.
Or, il a été constaté que les évacués ne se conformaient pas toujours à l’obligation qui leur était faite de correspondre exclusivement par carte postale.  En vue d’éviter toutes difficultés, il a été décidé que la correspondance expédiée par des sujets austro-allemands pourra s’effectuer par cartes postales ou lettres ouvertes, écrites soit en français, soit en allemand.
Ces cartes ou lettres ne devront être confiées directement au service postal ; elles seront remises, affranchies par les intéressés, à l’autorité administrative chargée de la gestion du dépôt, pour être soumises au contrôle des préfets. La correspondance de l’espèce sera, par la suite, transmise cachetée à la poste après avoir été répartie en deux séries, comprenant l’une les cartes et les lettres à destination de la France ou de ses colonies, l’autre les cartes et lettres à destination de l’étranger.
Les objets de la première série seront traités et acheminés comme les correspondances ordinaires ; ceux de la deuxième série, après avoir été soumis à la formalité de l’oblitération des figurines postales seront restitués au préfet, qui les acheminera au Ministère des Affaires Etrangères chargé d’en assurer la transmission par la voie diplomatique… »
Le Ministre du Commerce et de l’Industrie, des Postes et Télégraphes

Gaston THOMSON

Franchise Postale

Les prisonniers internés civils ne bénéficiaient donc pas de la franchise postale contrairement aux autres prisonniers ?   Là encore une instruction va nous donner la solution :

INSTRUCTION n° 177 EP du 29 avril 1915 concernant le régime postal des internés et prisonniers civils (extrait)

I – Franchises postales accordées aux internés civils en France
       I – Les internés civils en France (sujets des pays ennemis placés dans des camps d’internement sous la surveillance de l’Autorité Administrative) sont admis à bénéficier des mêmes franchises postales que les prisonniers de guerre, dans les conditions prévues par la convention postale universelle et les divers arrangements conclus à Rome le 26 mai 1906 (Bulletin mensuel n°11 d’août 1907).
       II – Envois que les internés civils en France sont autorisés à expédier
En conséquence, les Austro-Allemands internés en France sont, comme les prisonniers de guerre, autorisés à expédier en franchise postale, droits de douane ou autres, aussi bien dans le pays d’origine et celui de destination que dans les pays intermédiaires, des lettres simples ordinaires, des cartes postales, des imprimés, des échantillons sans valeur, des papiers d’affaires, des lettres et boites avec valeur déclarée, des colis postaux, ces derniers jusqu’au poids maximum de 5 kilogrammes ; ces différents envois ne peuvent être ni recommandés, ni grevés de remboursement.
       III – Acheminement des envois émanant des internés civils en France
Les envois émanant des internés civils en France sont transmis dans les conditions visées par l’autorité administrative. A cet égard, il n’est rien changé aux dispositions de la circulaire du 26 novembre 1914 dont les dispositions ont été arrêtées d’accord avec le Ministère de l’Intérieur et qui prévoient que les lettres et les cartes postales adressées à l ‘étranger par les internés seront acheminées par la voie diplomatique…
Pour le Ministre

Le Directeur de l’Exploitation postale.

Cette instruction n’était donc pas encore en vigueur à la date d’envoi de cette carte.

Mais qui est donc ce prisonnier civil ?

Lanveoc2

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Il semblerait que ce dernier soit Hongrois, mais encore … qu’il se nomme Elemér BALOG (voir signature). Elemér Balog était un juriste. Docteur en droit, avocat, il a été un temps procureur général du Comitat de Bàcs-Bodrogh (subdivision historique  administrative du Royaume de Hongrie). Il a publié en France, dans les « Mélanges Girard », études de Droit Romain, (Fac. de Droit de Paris, Geuthner 1913), Skizzen Aus Der Römischen Rechtsgeschichte (croquis de l’histoire du droit romain).

Il était membre correspondant de Législation comparée, et résidait, en 1912, 3 Krausnickstrasse à Berlin, ce qui a pu suffire à le faire interner en 1914, pour peu qu’il séjournât en France à cette époque.

On retrouve sa trace dans un document du magazine « Avel Gornog » de août 2008 sous le titre :  « Le camp de notables de Lanveoc » dont voici un extrait :
« … Le fait d’être retenus prisonniers suscite en fait l’incompréhension de bien des internés comme Elemer Balog.
« Attiré en France par la haute culture des sciences dans ce pays, j’ai passé des années entières dans les diverses bibliothèques de Paris pour y étudier l’antiquité romaine et grecque et le droit civil comparé. Plusieurs de mes travaux ont été présentés à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres… J’ai collaboré pendant ce temps à différentes revues concernant le droit. J’ai déjà publié onze volumes et je m’occupe à présent de mettre sous presse mes deux grands travaux, l’un de trois volumes sur le droit de guerre chez les romains, l’autre de deux volumes sur le droit civil comparé. Admirateur sincère de la science française, je me suis évertué de tourner vers elle l’attention de mes compatriotes et je crois avoir de véritables mérites de ce côté. Je me prends encore la liberté de vous dire que je suis né dans le sud de la Hongrie, dans une région entièrement habitée par des Slaves et que la considération de mes concitoyens m’a valu de figurer dans le conseil général de mon comitat… Je vous sollicite une faveur. Je désirerais me rendre en Suisse, à Genève en particulier, pour m’y établir pour le temps de la guerre et me faire valoir à l’université sur la base de mes travaux scientifiques… » 22 octobre 1914. (AD du Finistère, 9 R 17)

Lanveoc3Remerciements à M. Jean-Claude TOMASI pour le prêt de la carte d’interné du fort de Lanveoc.

4 réflexions au sujet de « Etude de cas : le fort de Lanvéoc »

  1. Merci à tous ceux qui ont rédigé cet article. Les recherches historiques sont remarquables. La Philatélie (terme générique) permets de conserver ces données historiques.
    Ce n’est vraiment pas un hobby de ‘petit vieux’.
    Bonne journée
    Gérard

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    • Bonjour à toutes et tous,
      Bonjour Gérard,
      La Philatélie et non la collection nous donne du grain à moudre si l’on veut bien s’en donner la peine, particulièrement en ce centenaire de la Grande Guerre où le courrier abonde qu’il soit Français ou Allemand. Cependant me manque du courrier écrit en Breton, je cherche toujours.
      Cordialement
      Robert

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  2. Merci à Robert Fontaine de Quimper, moi aussi je bois du petit lait devant un tel travail de recherche, un simple courrier avec des cachets partout est un trésor, mais il faut aussi trouver la clé de lecture pour comprendre. Alors je dis merci, c’est passionnant. Jean Combot

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    • Bonjour à toutes et tous,
      Bonjour Jean,
      Je vois que je suis démasqué.
      Ce n’est pas tous les jours que ce type de courrier est proposé au décriptage et puis une documentation fournie est nécessaire. Cependant quel régal lorsque l’on arrive à ses fins. Il y aura peut-être une suite avec d’autres documents
      Cordialement
      Robert

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