Connaissez-vous le Moresnet neutre ? #3

Moresnet5_CPA2_1908Pour la plupart d’entre nous, nous avons découvert il y a quelque temps (voir nos articles) l’existence de ce territoire éphémère, le Moresnet-neutre, ainsi que la seule série de timbres que ce petit pays a émis.

Mais savez-vous que cette émission –véridique même si la validité de ces timbres n’a été que de deux semaines – fait suite en fait à un canular ? Merci à Jean-Claude de m’avoir fait part de cette histoire que je vais vous raconter maintenant.

Un rappel tout d’abord : le Moresnet-neutre, petit territoire de 3.5km2 près d’Aix-la-Chapelle, est né d’un redécoupage des nations après les guerres napoléonniennes. Des gisements non négligeables de zinc, que la Prusse et les Pays-bas (puis la Belgique) se disputent, sont à l’origine de ce compromis qui crée ce territoire neutre, dont l’administration est assurée par un commissaire de chacun de ces pays. Il survivra jusqu’au Traité de Versailles en 1919, qui confie définitivement Moresnet au royaume de Belgique.

Moresnet1_carte

Le « premier marchand de timbres-poste »

Jean-Baptiste_MoensJean-Baptiste Moens (1833-1908), le fameux philatéliste belge, n’est pas un inconnu. Il collectionne pièces et timbres depuis son plus jeune âge, et ouvre ensuite à Bruxelles une librairie. C’est à ce moment qu’il décide d’y vendre quelques-uns de ses timbres intéressants, et devient un des tout  premiers professionnels du commerce philatélique.

Il publie en 1862 le Manuel des collectionneurs de timbres-poste, Nomenclature générale de tous les timbres dans les divers pays de l’univers.

C’est le premier catalogue publié en Belgique et le second dans le Monde francophone, après celui d’Alfred Potiquet.

LeTimbrePoste.

Le succès de cet ouvrage le pousse à
publier  la même année De la falsification des timbres-poste, véritable pamphlet contre les faux timbres qui commencent (déjà !) à pulluler en Europe.

Il fonde ensuite sa propre revue, le Timbre-poste, l’ancêtre de toutes les revues philatéliques en Europe, faisant de lui un véritable chef de file dans le Monde de la philatélie.

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De la blague …

Son expertise et son succès font que ces articles sont très souvent copiés, et notamment par son collègue parisien Pierre Mahé, qui lance lui aussi sa revue le Timbrophile, qui devient plus tard la Gazette des timbres.

Moens l’accuse alors de copier ses articles sans citer ses sources, et se forge dans sa tête l’idée de le piéger …

moresnet11_PoissonAvrilIl publie donc le 1er avril 1867 un canular élaboré dont Mahe se souviendra longtemps. Un certain J.S. Neom (J. Moens à l’envers !) lui a envoyé une lettre  qu’il publie aussitôt. Le Directeur de la poste du Moresnet, un certain Mr Crack, aurait décidé d’émettre une série de 4 timbres, d’une valeur de 12 et 20 centimes pour la Belgique, et de 12.5 et 25 centimes pour la Prusse. Ces timbres seraient produits par la société bruxelloise Vish et Lirva.

Le poisson d’avril a parfaitement eu l’effet voulu. Le Timbrophile publie un article sur les nouveaux timbres de Moresnet. Mahé aurait pourtant dû être beaucoup plus prudent et perspicace. En effet, en néerlandais, « Vish » signifie « Poisson » … et « Livra » est tout simplement … « Avril » à l’envers ! La blague a pourtant bien fonctionné !

Et si le timbre est assez fantaisiste, il n’en est pas moins plausible : référence aux deux états belges (le lion) et prusse (l’aigle), le tout chapeauté d’un bonnet phrygien rappelant la législation de la Révolution française toujours en place dans le territoire. Mais cela s’arrête là : le timbre est unilingue, et la mention « commune libre de Moresnet » est très peu utilisée. De plus, le Mr Crack était bien factice … car il n’y a même pas de poste au Moresnet-neutre : il faut se déplacer côté Belgique ou côté Prusse pour envoyer ou recevoir du courrier !

… à l’émission de vrais timbres

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Dr Wilhelm Molly

Cependant, en cette fin de XIXè siècle, l’idée-canular de Moens fait des émules … Les trois personnes « dirigeant » le territoire, le docteur Wilhelm Molly – qui échouera de peu à faire du Moresnet le centre mondial de l’Espéranto -, et messieurs Beaufays et Crickboom, recherchent en permanence des moyens de faire reconnaître le Moresnet comme un vrai territoire.

Or la loi française, toujours en vigueur ici, stipule que l’Etat garde toujours le monopole des postes. Emettre ses propres timbres reviendrait donc à reconnaître un vrai Etat !

Le pas est franchi le 5 septembre 1886, où est émise une série de 8 « vrais » timbres aux motifs identiques : 1 pfennig vert clair, 2pf bleu, 3pf violet, 4pf orange, 5pf brun clair, 10pf rouge carmin, 20pf gris, et enfin 50pf rouge. Rien de bien représentatif du pays, mais un caractère bilingue malgré des valeurs uniquement prusses.

T_Moresnet

Bourgmestre averti tout de même les deux commissaires belge et prussien, en rédigeant un décret portant connaissance de la création de ces timbres. La réaction des deux états sera rapide : le 19 octobre, ils déclarent ces timbres comme non valables et les retirent de la circulation. Ils n’auront circulé que deux semaines, et l’Etat du Moresnet n’aura donc existé officiellement grâce à ses timbres que pendant cette courte période !

moresnet10_cachets

Petite mais maigre consolation : pour calmer les esprits, la Belgique et la Prusse accordent le droit à un service postal à Moresnet-neutre le 29 janvier 1887.

Pour distinguer ce trafic postal, on tente tout d’abord de perforer des timbres prusses et belges existant mais l’expérience ne dure que 20 jours, et puis on décidera d’oblitérations spéciales.

C’est donc bien d’un poisson d’avril que tout est parti !

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