Jules Crevaux, l’explorateur de la Guyane

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Guyane – YT113

À la fin du XIXe siècle, la lointaine Guyane n’a pas bonne réputation : surtout associée à son bagne, la colonie n’est vue de France que comme une « guillotine sèche », idéale pour se débarrasser de forçats qu’on ne veut plus voir à Toulon ou à Brest. Jusqu’à ce qu’un jeune médecin militaire pose un regard neuf sur ce territoire mal connu.

Un matin de 1872, un officier de marine de 25 ans soutient à Paris sa thèse de médecine sur un sujet qu’on n’ira pas jusqu’à qualifier d’alléchant : De l’hématurie chyleuse ou graisseuse des pays chauds, affection qui se traduit entre autres par la présence de sang dans les urines, étudiée de près au cours

 d’une mission qui l’a conduit du Sénégal en Guyane, quatre ans plus tôt. Dans l’aventure, Jules Crevaux a attrapé un autre genre de maladie : une passion brûlante pour l’Amérique du Sud.

Rien sur le papier n’annonçait que ce fils d’aubergistes de Moselle deviendrait médecin militaire donc, mais aussi dessinateur, géographe, photographe, ethnologue, écrivain et même… Espion. Orphelin de père à neuf ans et de mère à quinze, mais élève brillant, il choisit de se lancer sur les traces d’Hippocrate avec une idée derrière la tête.

Le travail en cabinet, très peu pour lui : Jules veut voir du pays – des pays, si possible. Merci la Marine : inscrit à l’École de médecine navale, à 22 ans, il embarque comme aide médecin sur le Cérès, un bâtiment militaire qui l’emmène des côtes africaines à celles de la Guyane. Un coup de cœur pour Jules Crevaux, raide amoureux de cette colonie du bout du monde.

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La photo qui figurait sur les cartes de visite de Jules Crevaux | BNF / GALLICA

Et puis patatras : la guerre de 1870 éclate. Le jeune carabin rejoint un régiment de fusiliers marins mais très vite, les frontières cèdent. Capturé puis évadé, repéré pour sa maîtrise de l’allemand, le jeune homme se voit confier une série de missions clandestines jusqu’à l’armistice. De l’effondrement, Jules sort bien décidé à explorer le monde pour contribuer aux progrès de la science française.

Idéaliste ? Peut-être, mais ce Mosellan y voit un moyen de réparer une humiliation toute personnelle : désormais, sa terre natale est annexée à l’Empire allemand.

Dans le ventre de la Guyane

En 1876, lorsqu’on cherche à Paris un candidat pour explorer la Guyane intérieure, Jules a de sérieuses qualités à faire valoir. Physiquement, il n’a rien d’extraordinaire en dehors d’une belle endurance ; mais c’est un homme intelligent et calme, au caractère bien trempé, que Jules Ferry choisit en personne.

Objectif : relever le cours du fleuve Maroni et fixer la frontière qui sépare la colonie française du Suriname et du Brésil. Jules voyage léger : « deux chemises, un hamac, une moustiquaire, des vivres pour quelques jours, quelques instruments ». En pirogue et à pied, le trentenaire remonte le Maroni avec quelques guides recrutés sur place.

La progression est épuisante ; très vite, ses chaussures de cuir ne résistent pas au climat de la forêt équatoriale ; entre deux crises de fièvre jaune, il poursuit pieds nus, comme ces Amérindiens qu’il observe plus en ethnologue qu’en colonisateur. S’il n’échappe pas aux préjugés raciaux de son temps, son intérêt pour les mœurs des Wayana, des Galibi ou des Wani, d’anciens esclaves noirs évadés, a le mérite d’être sincère.

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Crevaux s’est fait représenter avec l’un des de ses guides guyanais sur cette gravure extraite de Voyage d’exploration dans l’intérieur des Guyanes, dans la revue « Le Tour du Monde », 1876

Après des semaines de marche, interrompue par des jours de repos dans des villages qu’il décrit en détail, Jules atteint les légendaires sommets du Tumac-Humac, longtemps associés à l’Eldorado. Et casse un mythe : les temples aux murs dorés, aperçus de loin par les conquistadors, ne sont que des parois rocheuses où miroitent des paillettes de mica…

Non seulement Jules n’a pas trouvé les cités d’or, mais il n’a plus un sou quand il arrive enfin à Santa Maria de Belem, au Brésil, après avoir traversé l’Amazone qui ne l’impressionne guère : « Cette grande masse d’eaux grises me paraît moins grandiose que les petites rivières aux eaux noires, semées de roches aux formes pittoresques ».

Hirsute, épuisé par les fièvres, il est d’abord pris pour un forçat évadé avant de repartir pour Paris, où il présente ses travaux à la Société de Géographie avant d’être décoré de la légion d’honneur, à 31 ans.

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Portrait de Jules Crevaux, par Édouard Riou | GALLICA / BNF

Mais si Jules ne déteste pas ce genre de breloques, la Guyane l’appelle à nouveau.

Une hache et une pièce de cinq francs

Une deuxième expédition le voit remonter l’Oyapock, à l’est de la Guyane, avant de rejoindre l’Amazone. L’aventure vire au chemin de croix : « Nous avons les pieds dévorés par des mouches qui sucent le sang et laissent dans la plaie un venin qui occasionne une tuméfaction et des ulcères ».

Un épisode en dit long sur les liens que Jules parvient à tisser avec les peuples amérindiens : dans un village, un sorcier Piaora accepte en échange d’une hache et d’une pièce de cinq francs de lui confier le secret du curare, ce poison puissant dont la tribu enduit ses flèches.

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Carte postale Monument Jules crevaux – Nancy

Son troisième voyage, en 1880-81, l’emmène cette fois au nord-ouest de la Guyane, vers le Venezuela. En canot, à pied ou en radeau, Jules descend le cours de l’Orénoque dans des conditions épouvantables. Son fidèle compagnon Apatou manque de se faire arracher la jambe par un caïman et un jeune timonier français, Burban, meurt empoisonné par la piqûre d’une raie venimeuse, punition divine peut-être d’un sacrilège : dans un village, Jules vole une momie ornée. Pour la science, certes, sur le plan ethnologique ce voyage est le plus riche, mais tout de même.

Le voyage de trop

Rétrospectivement, la mort de Burban sonne comme un avertissement. Sourd à ces présages, Jules repart une quatrième fois, au centre du continent cette fois. À 34 ans, cap sur l’Argentine avec quatre compagnons français, sans but précis.

Embarqué dans une expédition argentino-bolivarienne aux arrière-pensées géopolitiques mal avouées, Jules prend la tête d’un groupe de 17 hommes chargé d’explorer les rives du Pilcomayo, puis du Tapajos.

Il n’en verra jamais les remous : le 27 mars 1882, des guerriers Tobas tombent sur le petit groupe, qu’on traîne au village voisin. Deux hommes seulement en réchapperont, ceux par qui on connaît la fin tragique de Jules, tué d’un coup de massue avant d’être – peut-être – partagé et dévoré par les membres de cette tribu anthropophage.

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Chromo Jules Crevaux

Que reste-t-il de Jules Crevaux et de cette douzaine de milliers de kilomètres parcourus en Amérique du Sud ? Des livres, des photographies, des croquis et des dessins par centaines. Quelques centaines d’objets, dont certains sont aujourd’hui exposés au Quai Branly. Le souvenir d’un humaniste dont ses proches ont vanté l’humour, le courage et le caractère acharné. Et une devise : « Tiens bon ».

Source : Ouest France


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