Jean-François de Galaup comte de La Pérouse

La_Perouse_YT541_1942

La Pérouse – YT541 de 1942

Sur les quais de Brest, alors qu’une brise estivale caresse les côtes, elles sont des dizaines à attendre le retour de leurs marins de maris. Quatre ans que ces femmes n’ont pas revu leurs hommes partis au bout du monde. En quarante-huit mois, pas un coup de fil, un SMS, un selfie, une conversation Whatsapp. À peine quelques lettres.

Mais à quelle époque vivent-elles ? Un temps que les moins de… 230 ans ne peuvent pas connaître.

Retour en 1789, en pleine période révolutionnaire. Cet été-là, ce que les épouses du Finistère scrutent sur la ligne d’horizon, ce sont les voiles de L’Astrolabe et de La Boussole. Deux frégates parties le 1er août 1785 pour quatre ans avec, à leur bord, leurs bonshommes et, à leur tête, le commandant Jean-François de Galaup, comte de La Pérouse et son second, son ami Paul-Antoine Fleuriot de Langle, originaire de Quemper-Guézennec.

LaPerouse1

Portrait de Jean-François de Galaup, comte de Lapérouse. | CLAUDE STEFAN / OUEST-FRANCE

Pierres, vêtements, beurre salé, volailles…

Avec, dans leurs cales, 1 000 tonnes par bateau de mets et matériels produits en Bretagne ou acheminés par ses routes. Ont été entassés canons, vêtements, bottes de cuir, poulies et cordages, fusils, pierres, perles et boutons, barres de fer, haches, marteaux, vaisselle, vin, légumes secs, beurre salé de Saint-Malo, farine et blé noir, volailles, moutons, bœufs…

Les compagnes des matelots, qui ont reçu quelques mois auparavant des lettres confirmant le retour de leurs hommes, ne sont pas les seules à scruter la rade. Dans les ors de Versailles, le roi Louis XVI trépigne de revoir son cher officier de vaisseau à qui il a fixé, quelques années plus tôt, le cap de cette incroyable expédition française autour du monde.

LaPerouse2

Tableau peint par Nicolas Andre Monsiau en 1817 représentant Louis XVI donnant ses instructions au comte de Laperouse avant son voyage autour du monde. | CLAUDE STEFAN / OUEST-FRANCE

L’explorateur et historien Bernard Jimenez, reparti sur les traces de Lapérouse avec son livre L’expédition Lapérouse, une aventure humaine et scientifique autour du monde (Glénat)s’enthousiasme à décrire combien cette aventure fut, au Siècle des Lumières, un voyage complètement dingue : « On a du mal à comprendre, en 2019, ce qu’a représenté ce projet. C’est comme si, aujourd’hui, on assistait au départ pour la planète Mars de 200 hommes, physiciens, astronomes, naturalistes, botanistes, médecins, géographes, jardiniers, horlogers, artistes et officiers pour une expédition de quatre ans. Un périple sans retour garanti et pour lequel il faudrait embarquer des tonnes de vivres et de matériel. Ce qu’ils s’apprêtaient à accomplir était phénoménal. »

Ambiance guerre des étoiles avec l’Angleterre

Et tout cela pour la gloire et le rayonnement du royaume de France qui, déjà à l’époque, tenait tant à se friser les moustaches devant les Anglais. Parce qu’outre-Manche, moins de dix ans avant Lapérouse, le navigateur britannique James Cook avait lancé trois autres célèbres odyssées maritimes. Et ramené de ses voyages dans le Pacifique des cartes marines et terrestres inédites, autant de dessins de la faune et de la flore et, surtout, la découverte d’îles comme la Nouvelle-Calédonie, Hawaï ou Norfolk.

Norfolk_laperouse

Tryptique de Norfolk Island

Une quête des flots franco-anglaise proche de l’ambiance de guerre des étoiles dans laquelle se sont lancés Américains et Soviétiques deux siècles plus tard. « Au XVIIIe siècle, le capitaine Cook régnait sur les océans. Alors quand Lapérouse quitte Brest, c’est pour aller plus loin et faire encore plus grand. Il s’agissait de combler les blancs des cartes anglaises et de donner à l’expédition la vocation d’une académie flottante. La soif d’inventorier le monde était essentielle, tout comme celle de rencontrer les « Naturels », comme ils appelaient les autochtones. D’ailleurs, le roi avait demandé que le contact avec les habitants des territoires visités soit noué avec douceur et humanité. » Car si l’Anglais suscite jalousie et admiration sur les quais et à la Cour, tous se souviennent quand même de son assassinat lors d’une querelle avec des indigènes du côté d’Hawaï.

« Chasse aux trésors des temps modernes »

Wallis_laperouse-la-boussole

La Pérouse et « la Boussole » – Wallis et Futuna 1988

Alors le Français devra être aussi excellent barreur et meneur sur le pont que digne et gentleman en terre étrangère. « Lapérouse, c’est une main de fer dans un gant de velours », résume Bernard Jimenez. Un militaire sensible mais avant tout dévoué à son souverain, prêt à tout sacrifier pour hisser haut la fleur de lys sur l’empire de Poséidon. Jusqu’à son amour pour Eléonore, son épouse d’origine nantaise, qu’il a pourtant mis tant d’années à officiellement aimer tant son père méprisait cette union. Quelques semaines avant de lever l’ancre, il lui écrit : « Ma chère amie, ne me fais point de nouvelles observations sur ma campagne, car tu me mettrais au désespoir, et tout est décidé… Adieu mon ange, je t’adore de toute mon âme. »

L’océan sera le tombeau de leur passion. Car la suite de l’histoire de l’expédition est connue : jamais Eléonore ni les Bretonnes ne reverront leurs maris et frégates, anéantis par un terrible naufrage à Vanikoro, aux îles Santa Cruz, dans le Pacifique Sud. C’était lors d’une nuit de tempête apocalyptique, probablement en mai ou juin 1788. Le drame, aujourd’hui encore, fascine les historiens et explorateurs. Même si les épaves ont été retrouvées et de nombreux objets sortis de l’eau, « beaucoup de questions restent en suspens, ça donne à l’expédition sa dimension de chasse au trésor des temps modernes. Cette histoire est parfaite pour l’imaginaire puisqu’elle a disparu corps et biens. »

« Un vieillard de cent ans »

LaPerouse_1988_YT2519

La Pérouse – YT2519 de 1988

Pourquoi les hommes de Lapérouse, dont on sait que certains ont survécu « plusieurs lunes » sur l’île du naufrage, selon les récits transmis de génération en génération, n’ont-ils pas laissé d’indice de leur destinée ? L’explorateur faisait-il partie des rescapés ? Était-il d’ailleurs encore en vie au moment de la tragédie ? À bord, le scorbut, la peste de la mer, menace.

Le chef a beau inciter ses hommes à danser chaque soir sur le pont « pour entretenir la gaieté », l’ordinaire est fait de vivres rongés par les vers, de viande avariée, d’humidité poisseuse qui pénètre hardes et bottes. L’épuisement guette après 40 000 milles parcourus, 690 jours de mer et 266 d’escales. Poignants sont les mots dans l’une des dernières lettres de Lapérouse. Datée de février 1788, elle a été acheminée in extremis depuis Botany-Bay, en Australie, par des marins anglais rejoignant l’Europe.

NCAL_laperouse-a-botany-bay

La Pérouse à Botany Bay – Nouvelle Calédonie 1988

À son ami normand Lecouteulx de La Noraye, il confie : « Quelques avantages militaires que cette campagne m’ait procurés, tu peux être certain que peu de personnes en voudraient à pareil prix et les fatigues d’un tel voyage ne peuvent être exprimées. Tu me prendras à mon retour pour un vieillard de cent ans, je n’ai plus ni dents, ni cheveux et je crois que je ne tarderai pas à radoter… Adieu jusqu’au mois de juin 1789 ; dis à ma femme qu’elle me prendra pour mon grand-père. »

LaPerouse3

Août 1785 : Lapérouse quitte le port de Brest et écrit, « sous voile », une dernière lettre à son ministre de la Marine. | MUSEE ROYAL DE MARIEMONT (BELGIQUE)

Contre l’évangélisation des peuples autochtones

Une confidence rare et précieuse sous la plume d’un homme de loi et de droit, dont le cœur se doit d’être aussi rectiligne que les tracés de son sextant. Mais au fil des pages de son journal de bord, lettres et rapports envoyés à Versailles lors d’escales, d’autres émotions et réflexions plus intimes flottent parmi les relevés scientifiques, les pointages cartographiques, les observations politiques et les témoignages ethnologiques. Comme cette « vive douleur », ces « regrets » et « larmes » évoqués après le naufrage de chaloupes à Port-des-Français, en Alaska. Une vingtaine de ses hommes y périrent noyés.

CPA_LaPerouse

Les deux frégates en escale à Port-aux-Français en Alaska.|SERVICE HISTORIQUE DE LA DEFENSE

Ou comme ces violentes diatribes contre l’évangélisation des peuples autochtones par les colons espagnols qui ne pensent « qu’à faire des chrétiens et des saints et jamais des citoyens ». Des populations locales que Lapérouse ne châtiera pas lorsqu’elles tueront à coups de pierres son second et grand ami de Langle ainsi que onze de ses marins à Tutuila, sur les îles Samoa. Une clémence qui ne vaut pas tolérance car, dans ses récits, Lapérouse réfute le concept de « bon sauvage » des philosophes de salon très en vogue en plein siècle des Lumières. Il n’est pas rare de le qualifier les Naturels de « fourbes », « méchants » voire « barbares ».

CPA_LaPerouse2

A Maouna, dans l’archipel des Samoa, où eu lieu le massacre de Langle, l’ami de Lapérouse et capitaine de L’Astrolabe | Carte postale NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE DES VOYAGES

Émergent, enfin, des propos visionnaires sur une nature déjà fragilisée : « Sensible aux équilibres du monde rural, analyse Bernard Jimenez, il a, par exemple, perçu la catastrophe écologique survenue à l’île de Pâques suite à un déboisement inconsidéré et a constaté les effets néfastes que l’homme peut avoir sur son environnement. »

Source : Ouest France


inscrit au Hit-Parade de www.philatelistes.net

Une réflexion au sujet de « Jean-François de Galaup comte de La Pérouse »

Votre commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.