Cette rubrique vous présente, un mercredi sur deux, des personnages célèbres qui sont également collectionneurs : Qui sont-ils ? Qu’amassent-ils ?
Cette semaine : Victor-Emmanuel III était … numismate
Victor-Emmanuel III, né à Naples le 11 novembre 1869 et mort en exil à Alexandrie le 28 décembre 1947, est roi d’Italie du 29 juillet 1900 après l’assassinat de son père, jusqu’au 9 mai 1946, peu avant la proclamation de la République. Mais il était aussi un expert numismate, et je ne vous propose rien de moins que son éloge funèbre pour découvrir sa passion des monnaies :
« L’année qui vient de finir aura été funeste jusqu’en ces dernières heures à nos associés étrangers. Après Salverda de Grave, après Franz Gumont, voici que Victor-Emmanuel III est mort, âgé de 78 ans, le dimanche 28 décembre 1947, à Alexandrie, où il s’était retiré en 1946 depuis son abdication. Nous n’avons pas à retracer ici le rôle politique et la destinée singulière d’un souverain dont le long règne de 46 ans a été fertile en péripéties
mouvementées et en tragiques revirements, […]. Mais ce qui relève de notre souvenir et de notre ultime hommage, ce sont les titres que notre Compagnie avait voulu reconnaître en ouvrant ses portes à un éminent historien et numismate qui, de surcroît, lors de son élection en 1915, venait de se ranger et de ranger son pays parmi les amis et les alliés de la France en guerre.
La maison de Savoie, dont descendait Victor-Emmanuel, avait depuis longtemps marqué de l’intérêt à l’histoire des monnaies et fondé à Turin un cabinet des médailles qui prit une
importance particulière, en 1843, quand le roi Charles-Albert acquit la presque totalité de la célèbre collection Arigoni com posée de plus de 20.000 pièces. De cette tradition familiale, Victor-Emmanuel se fit l’héritier fervent ; dès son adolescence, il se mit à considérer avec une véritable passion tout ce qui concerne l’art monétaire. Il appliqua tous ses soins, et une obstination sans cesse en éveil, à se constituer personnellement un médaillier d’une incomparable richesse qui embrassait toutes les séries italiennes depuis la chute de l’Empire romain jusqu’à nos jours, tâche qui exigeait de sa part une connaissance approfondie de l’histoire de chaque ville et de chaque famille régnante, et aussi un contact direct avec les principales collections publiques et privées tant de l’Italie que de l’étranger, qu’il avait examinées lui-même et dont il s’était procuré les fiches descriptives.
Président d’honneur de la Società numismatica italiana, membre d’honneur de la Société française de numismatique, il possédait une compétence et jouissait d’une réputation si bien établies que dès 1901, notre regretté confrère Ernest Babelon ne croyait pas pouvoir mieux faire que de lui dédier le Traité des Monnaies grecques et romaines qu’il commençait de publier. Victor-Emmanuel entendit ne pas garder jalousement pour ses propres études et son unique satisfaction les trésors qu’il avait rassemblés et conçut le projet d’une grandiose publication savante qui prendrait comme base ses collections personnelles et celles du cabinet de Turin, propriété de la Couronne, mais s’adjoindrait toute la documentation supplémentaire que pourraient fournir les grands musées et les collections renommées du monde entier, ainsi que les ouvrages imprimés pour les exemplaires disparus signalés jadis. […]
En 1910, un premier volume, consacré à la numismatique de la maison de Savoie, du xi* siècle au début du xxe, voyait le jour et de 1910 à 1939 dix-sept autres se sont succédés […]
Le Recueil embrasse donc une matière immense et il a été réalisé selon une méthode exemplaire. Les épreuves de chaque volume étaient envoyées à tous les cabinets des médailles importants afin qu’on pût y introduire les corrections et les additions requises ; il fait désormais autorité et est indispensable à la connaissance de la numismatique et de l’Histoire générale de l’Italie.
Un ouvrage aussi vaste, aussi parfaitement coordonné et scientifiquement conduit, ne pouvait laisser indifférente une Compagnie comme la nôtre, que tout, dans ses origines, son passé et ses attributions, prédisposait à en approuver l’idée et à en apprécier la réalisation. Le 27 mars 1914, alors que quatre volumes avaient paru, l’Académie (ndlr : des Inscriptions et Belles-Lettres), en décernant à Victor-Emmanuel III le prix Duchalais, désira manifester son admiration pour une entreprise de cette envergure […]
Bientôt, le 6 août 1915, à l’unanimité elle élisait associé étranger son lauréat de l’année précédente. […]
En mémoire des services qu’il a rendus à nos études et de la libéralité dont il a fait preuve envers nous, j’adresse, au nom de l’Académie, un dernier salut à Victor-Emmanuel III, historien et numismate qui, toute sa vie, a réservé à ces sciences une large place dans ses préoccupations et s’est attaché à en favoriser les progrès. «