A Saint-Pétersbourg, au cœur du quartier historique, deux beaux immeubles abritent la plus ancienne collection de graines du monde. Créé en 1884 sous le règne du tsar Alexandre III, l’avant-dernier empereur de Russie, le Bureau de botanique appliquée porte aujourd’hui le nom de Nikolaï Vavilov, botaniste de génie, explorateur infatigable, qui dirigea l’institut scientifique avant de mourir de faim dans une prison stalinienne en 1943.
Né à Moscou en 1887 dans une famille de marchands fortunés, Nikolaï Vavilov voit mourir en bas âge trois de ses frères et sœurs; ce drame le sensibilise très jeune à la nécessité d’améliorer les conditions sanitaires de la population et, dès sa sortie du collège, il cherche à apprendre une science «directement utile à la société». Il entre ainsi à l’Institut agronomique de Moscou d’où il sort diplômé en 1911, primé pour sa thèse sur les limaces de jardin.
Dans cette période troublée qui précède la révolution russe, le jeune agronome comprend rapidement que la santé d’une économie et la stabilité d’une culture dépendent de la fiabilité de son agriculture. Fort de cette intuition, il se donne pour mission de trouver l’origine des plantes alimentaires et, dès ses premiers voyages en Europe, mais aussi en Iran, en Kirghizie et au Tadjikistan, il se passionne pour l’immunité végétale, tout en ramenant des échantillons des spécimens de toutes les plantes qu’il rencontre. En 1920, Nikolaï Vavilov est nommé à la tête de l’institut. Lénine, qui dirige alors la jeune URSS, finance et soutient les recherches de l’agronome. Entre 1921 et 1922, Vavilov conduit plusieurs expéditions aux Etats-Unis, au Canada et en Europe. Sous sa direction, l’institut compte jusqu’à 20 000 collaborateurs et des dizaines de stations agronomiques réparties sur tout le territoire de l’URSS.
Berceaux des plantes
En 1924, Joseph Staline succède à Lénine, qui est mort en janvier; Vavilov part en expédition en Afghanistan. Les deux années suivantes, il explore l’Amérique du Sud (notamment le Mexique et le Guatemala), et puis l’Afrique du Nord, la Palestine, la Syrie, la Jordanie, l’Abyssinie et encore la Grèce, la Sardaigne, la Sicile, le Portugal et l’Espagne. Elaborant sa théorie exposant que les lieux où sont conservées le plus de variétés d’une espèce en seraient les berceaux, il identifie huit centres d’origines des plantes cultivées, parmi lesquels le Croissant fertile pour les céréales, l’Amérique du Sud pour le maïs et la pomme de terre, le Sud-Est asiatique et la Chine pour les fruits.
Botaniste martyr
Avant la Seconde Guerre mondiale, la collectivisation des terres et quelques catastrophes climatiques avaient déjà engendré plusieurs famines dramatiques en URSS. Au moment de chercher des responsables, un conflit éclate entre Vavilov et Trofim Lyssenko, un technicien agricole qui a obtenu les faveurs de Staline en promettant d’augmenter rapidement le rendement de l’agriculture soviétique. Il croit pouvoir améliorer les variétés en les exposant simplement au froid ou au chaud, et remet aussi en question les méthodes de Vavilov qui, lui, privilégie la sélection et les croisements pour améliorer les variétés. La suite prouvera que sa démarche est la bonne, mais, malheureusement pour Vavilov, la génétique naissante est alors considérée comme une science bourgeoise. En juillet 1941, Nikolaï Vavilov est condamné à mort; et l’homme qui aura œuvré toute sa vie à l’amélioration des cultures alimentaires meurt de faim en janvier 1943 dans une prison de Saratov. Son nom est retiré de la liste des membres de l’Académie soviétique des sciences, jusqu’à sa réhabilitation en 1956, et que l’institut prenne son nom en 1967.
Aujourd’hui à Saint-Pétersbourg, à l’entrée de l’Institut Vavilov, sont toujours exposés les portraits de 61 chercheurs qui, entre 1941 et 1944, ont souffert de la faim et sont morts durant le siège de Leningrad par les nazis, plutôt que de manger les graines de la précieuse collection… Elle compte actuellement 325 450 échantillons d’espèces cultivées et un herbier de 376 825 planches. Profondément touché par le destin tragique du génial Vavilov, le photographe vaudois Mario Del Curto est parti à la rencontre de ceux qui perpétuent son œuvre et prennent soin de ce trésor. Un reportage de plusieurs années jusqu’aux quatre coins de l’immense Russie, le menant dans les stations agricoles où les collections de graines sont régulièrement régénérées, c’est-à-dire remises en culture, récoltées et conservées.
A Almaty au Kazakhstan, anciennement Alma-Ata qui veut dire «grand-père pomme», le photographe s’est promené dans des forêts de pommiers sauvages au pied des montagnes du Tian Shan, là où Vavilov situait l’origine du fruit.
A Krymsk, ville située au pied septentrional du grand Caucase, la station occupe 1800 hectares et quelque 130 employés y développent de nouvelles sortes d’arbres fruitiers tout en cultivant 650 variétés de fraises!
A Volgograd (autrefois Stalingrad), la station créée en 1932 est à la mesure de la contrée: 1174 hectares dont seuls 283 sont encore cultivés. Spécialisée dans les légumes et le maïs, elle n’occupe plus que neuf personnes contre 160 jusqu’en 1990, quand la station produisait 70% des graines de tomates de l’URSS. Sur la station d’Astrakhan, capitale du caviar, poussent 200 variétés de melons, 320 sortes de courges et 250 variétés de haricots. Et à Apatity, oblast de Mourmansk, à l’extrême nord de la Russie où il gèle dix mois par an, les héritiers de Nikolaï Vavilov travaillent toujours à adapter certaines plantes (des céréales principalement) au climat polaire.
Partout où il est allé, le photographe Del Curto a été impressionné par le dévouement et la rigueur des scientifiques qui, malgré l’état délabré des bâtiments, le manque de moyens et d’outillage, travaillent, souvent bien au-delà de 80 ans, à poursuivre l’œuvre de Vavilov, premier défenseur de la biodiversité. Et, c’est ainsi que le magnifique livre qu’il consacre aux «graines du monde» et à leurs jardiniers touche au plus profond de notre humanité.
Les graines du monde – L’Institut Vavilov, un livre de Mario Del Curto. 320 pages. Ed. Till Schaap, 49 fr.
Source : L’Illustré – Photos : Mario del Curto
Magnifique histoire et tragique.
J’aimeJ’aime
Fabuleux !
J’aimeJ’aime
Alors la chapeau pour cette article.Je connaissais un peu l’histoire mais c’est bien de la mettre en lumière sur le site.
J’aimeJ’aime
Bonjour, je ne suis pas d’accord pour que l’on présente St Petersbourg comme étant la plus ancienne collection de graines du monde…
La France est largement devant…
Créée en 1822, à l’initiative d’André Thouin, éminent botaniste et agronome, qui dirigea la chaire d’Agriculture et culture des jardins du Muséum national d’Histoire naturelle, la Graineterie fait partie aujourd’hui du Département des Jardins Botaniques et Zoologiques, au Jardin des Plantes. Au sein de la Graineterie, la Banque de Graines du Muséum (BGM) est la plus importante au niveau national par la diversité de sa collection et tient une place importante au niveau européen.
JM Bergougniou
J’aimeJ’aime