Au pissenlit ou à la fraise, la confiture n’a pas toujours été le supplément de couleur qui réveille la tartine du matin : pendant la Première Guerre mondiale, elle devint produit de nécessité dont on privait les civils pour la réserver aux militaires qui combattaient au front. En témoigne une exposition sur le sujet, des deux côtés du Rhin, à Ranrupt.
Alors qu’au début du XXe siècle, la confiture était considérée comme un produit de luxe, encore peu populaire, des tickets de rationnement instaurent pendant la Première Guerre mondiale une distribution de sucre à usage exclusif de confitures… Étonnante découverte à faire en parcourant l’exposition « La confiture pendant la Première Guerre mondiale », montée par Fabrice Krenker, fondateur des Confitures du Climont à Ranrupt. Produits entre 1914 et 1918, les cartes postales retrouvées, allemandes et françaises, les lettres, les avis publics et les objets (seaux et pots) qui composent l’exposition témoignent de l’importance de la confiture en cette période tourmentée.
Comme le charbon, le pain et le pétrole, le sucre était rationné en France à cette époque, comme le rappelle un avis public de la ville de Paris de juillet 1918. Toutefois pas en Alsace, rappelle Odile Munsch, habitante de Munster âgée de 94 ans : étant allemande, l’Alsace était épargnée par ce rationnement. À Versailles, un avis de juin 1917 précise bel et bien que pour le mois de juin 1917, 500 g par personne étaient distribués « à la condition que ce sucre, qui sera du sucre roux, soit réellement employé à la confection des confitures. »
Remonter le moral
« À cause de la rareté et du prix du sucre, ce n’est que dans les années 1950 que la ménagère a pu faire des confitures sans se priver. Avant, c’était un sport de riche » , indique Fabrice Krenker, à l’origine d’une exposition permanente sur l’histoire de la confiture depuis le XVIe siècle.
La confiture devient pourtant un produit de base pour les soldats dont les civils doivent se passer pour la réserver aux militaires au front. Les hypothèses vont bon train pour l’expliquer. Sur certaines cartes postales, allemandes comme françaises, on voit la production de confiture industrielle réservée à l’armée, sur d’autres, des ménagères disent faire des confitures « juste parce qu’elles ont reçu du sucre pour ça… »
« Comme le sucre permet de conserver les fruits que l’on pouvait manger en hiver, les confitures pouvaient donc nourrir les soldats, leur donner de l’énergie et leur remonter le moral » , suppose Fabrice Krenker.
Pourquoi alors n’avoir pas rationné le sucre pour les civils et ne pas l’avoir conservé à l’usage exclusif des professionnels ? D’autant que les confitureries, au début de la guerre, assuraient ne pas avoir de souci pour poursuivre leur activité. Toutefois, l’une d’entre elles baisse les bras, faute de sucre, comme elle l’avoue dans un courrier de juillet 1918, exposé à Ranrupt. « Ces bons spéciaux de sucre roux permettaient aussi aux parrains et aux marraines de poilus de faire de la confiture et de la leur envoyer… »
Catapultes
Sur le front, les odes à la confiture, écrites par des soldats allemands, sont nombreuses (« le soldat aime la confiture comme une fiancée », « la confiture redresse les jambes tordues » …) L’autre atout de la confiture en temps de guerre, comme en témoigne une carte postale ? Une fois vidées, les boîtes deviennent des engins de guerre improvisés, « remplies de carton-poudre et pourvues d’une fusée avec un lanceur qui rappelle les catapultes romaines. » Raison supplémentaire de pousser à la production de confiture ?
Source : L’Alsace