A quand remonte la dernière fois que vous avez reçu ou envoyé une carte postale? Si la coutume est toujours vivace pour certains vacanciers, l’usage de ces photos cartonnées adressées aux amis ou à la famille semble se perdre. Au début du XXe siècle, les Français s’en échangeaient 800 millions par an. Selon les derniers chiffres disponibles de l’Union professionnelle de la carte postale, datant de 2015, le total était tombé à 200 millions d’unités, dont 80% envoyées pendant la période estivale.
Et aujourd’hui? « Je n’ai pas de chiffres. Mais on doit en vendre 150 millions peut-être », répond Sébastien Artaud, le patron des Editions Artaud, société spécialisée dans la carte postale. « On n’est pas sur un marché dynamique, c’est à dire à croissance. Mais il se vend encore beaucoup de cartes postales en France, je vous rassure », promet-il.
« Un gros appel d’air il y a quelques années de ça, mais désormais on arrive à avoir une stabilité »
Son entreprise est d’ailleurs assez représentative de celles qui occupent le secteur: des TPE et des PME familiales fondées au début du XXe siècle. « Moi j’ai repris les rênes avec mon frère il y a 20 ans de ça, on est la 4e génération », raconte Sébastien Artaud. « Des cartes postales touristiques, on en imprime plus de 6 millions, un chiffre qui est stable aujourd’hui. On a subi un gros appel d’air il y a quelques années de ça, mais désormais on arrive à avoir une stabilité. C’est un produit très présent dans tous les commerces traditionnels sur les sites touristiques. Et on est sur de l’achat spontané de quelque chose qui reste quand même ancré dans une tradition. »
Et même plus que la tradition, puisque la carte postale fait partie de l’histoire. Lancée sans image en 1873, elle est à l’époque « un véritable moyen de communication », explique Christian Deflandre, qui s’occupe du Musée de la carte postale d’Antibes.
« Quand on voulait donner un rendez-vous ou passer une commande, la carte postale était le moyen idéal, puisque que ça coûtait moins cher qu’une lettre. A partir de 1900, elles deviennent illustrées. Les gens s’absentaient une journée de Paris pour aller à Versailles, ils envoyaient une carte ‘pour dire je suis au château, tout va bien’. Les photographies étaient rare: il n’y en avait pas dans les journaux, il n’y avait pas de télé, le cinéma était balbutiant. En termes d’image, les cartes postales remplaçaient tous ces médias. »
« A chaque fois qu’une nouveauté apparaît, la carte postale décline »
La folie durera jusqu’en 1920, mais par la suite, plus rien ne sera jamais comme avant.
« Ensuite on voit apparaître le téléphone. La presse commence à publier des photos. Et puis dans les années 30 et 40, M. Tout le monde peut faire ses propres photos », reprend Christian Deflandre. « A chaque fois qu’une nouveauté apparaît, la carte postale décline. Aujourd’hui, là où il y avait des tourniquets et des présentoirs, il n’y en a plus ou alors de moins en moins. Si vous avez une dizaine de copains, avec les timbres, ça va vous coûter 20 euros. C’est devenu un simple geste d’amitié. Les professionnels disaient encore récemment qu’ils en vendaient beaucoup, mais c’est surtout que leur offre s’est diversifiée vers d’autres produits de papeterie. »
Chez les deux gros acteurs du secteur, la carte postale envoyée par les touristes n’est en effet plus le cœur de métier. En 2015, le groupe Editor réalisait 10% de son chiffre d’affaires avec les petites photos cartonnées, quand son concurrent Draeger n’en faisait plus que 5%. Chez les éditions Le Goubey, on a connu le même virage. Fondée en 1904, cette PME familiale spécialisée dans la carte postale en faisait son activité principale il y a encore quinze ans. « A l’heure actuelle ça ne représente plus que 8% de notre activité », explique Christophe Le Goubey, arrière-petit-fils du fondateur. « Si j’avais dû rester dans cette idée, je ne serais pas en train de vous parler. C’est un produit qui ne se vend plus du tout, donc il faut absolument faire autre chose. »
« Le support carton a eu son temps »
« Autre chose », ce sont toujours des photos souvenirs des paysages que vous avez pu arpenter en vacances, mais sur des mugs, des magnets, des porte-clés, des stylos ou des briquets. Résultat, quand il imprimait 6 millions de cartes postales par an il y a 10 ans, Christophe Le Goubey n’en sort plus qu’un million aujourd’hui.
« La Poste ne nous a pas fait de cadeaux non plus », regrette-t-il. « Elle a augmenté son prix pour au final avoir un moins bon service au fil des années. Ensuite il faut trouver des timbres, qui ne font qu’augmenter. Par ailleurs, les vacanciers maintenant partent une semaine ou dix jours: ils rentrent chez eux et leurs cartes ne sont pas encore arrivées. Derrière, les smartphones sont arrivés, donc là les gens ont gagné en rapidité pour pouvoir donner des nouvelles. Le support carton a eu son temps, maintenant c’en est un autre. »
Pourquoi s’embêter quand on peut tout poster sur Instagram pour ses amis ou lancer un Facetime avec sa grand-mère? « Aujourd’hui, il y a même des gens qui s’amusent à prendre la carte postale en photo et à l’envoyer par sms. C’est une calamité pour nos clients qui n’en vendaient déjà plus beaucoup », ajoute Christophe Le Goubey. C’est aussi un défi pour les fabricants, qui y répondent en tentant d’améliorer leur offre. « C’est un marché qui est dynamique dans la création. On renouvelle les photos, les mises en page sont refaites chaque année. Moi je renouvelle 20 ou 25% de ma collection chaque année. C’est un travail énorme. Si on ne faisait pas ça aujourd’hui, on aurait peut-être des chiffres qui seraient différents », conclut Sébastien Artaud.
Source : BfmTv