En 1914, on le sait, les soldats partent au front la fleur au fusil, persuadés que la guerre sera courte. Mais quelques mois plus tard, le conflit s’enlise dans la boue des tranchées et le moral des troupes commence à flancher.
Particulièrement concernés sont les soldats qui n’ont plus de famille ou qui sont sans nouvelles de la leur – c’est le cas notamment des mobilisés originaires des régions envahies du Nord et de l’Est de la France, avec lesquelles les communications sont coupées.
Ceux-là, en effet, n’ont pas la ressource de puiser espoir et réconfort dans les nouvelles qu’ils reçoivent de l’arrière : ils ne reçoivent ni courrier, ni colis, ni mandat.
Face à cette situation, sont lancées en 1915 plusieurs oeuvres charitables (“La Famille du Soldat”, Mon soldat”…), dont l’objectif est de mettre en relation épistolaire des femmes, les marraines, avec des hommes au front, leurs filleuls. Ces initiatives, fondées par des dames patronnesses poursuivent un objectif hautement moral et patriotique : il n’est alors pas question de flirt épistolaire, mais uniquement d’apporter soutien et force à des soldats esseulés.
Rapidement, toutefois, certains journaux reprennent l’idée à leur compte et en proposent une interprétation beaucoup plus grivoise.
Carte postale humoristique d’époque représentant les marraines comme des femmes de petite vertu ou des vieilles filles en quête de mari.
Ainsi, en 1915, la revue légère Fantasio fait paraître une rubrique baptisée Le Flirt sur le front dans le but avoué de remédier à la solitude amoureuse des combattants.
En quelques mois à peine, les demandes de soldats dépassent les offres de demoiselles et, victime de son succès, le journal doit mettre fin à son initiative.
Peu importe : une autre revue La vie parisienne prend aussitôt le relais. La lecture des annonces passées par les Poilus est réjouissante.
Elle ne laisse aucun doute quant aux motivations sentimentales, si ce n’est grivoises, de certains d’entre eux : « Deux jeunes sous-officiers dem. Corresp. Avec gentilles parisiennes, très affectueuses » peut-on ainsi lire dans un numéro de 1916.
Dans ce contexte, les moralisateurs crient au délabrement des moeurs, le journal conservateur l’Oeuvre française n’hésitant pas à qualifier La vie parisienne d’agence de prostitution. Peu à peu, l’image des marraines se détériore : on les perçoit moins comme des modèles de dévouement que comme des dévergondées… ou des vieilles filles en quête d’aventure. Dans son roman L’Ecole des marraines, Jeanne Landre met ainsi en scène une quinquagénaire “basse sur pattes” qui se “rattrape à distance”. Cette image peu flatteuse est à l’origine de la crise de vocation qui se manifeste dès 1916 : les candidatures au poste de marraine se font de plus en plus rares.
Du côté des autorités militaires, les marraines de guerre ne sont guère appréciées. Non pas que l’Etat Major se soucie en quoi que ce soit de la moralité des soldats, mais il craint que des espions ne se glissent dans la peau des correspondantes pour les démoraliser et leur soutirer des informations stratégiques.
En 1917, la paranoïa règne : le commandement des armées du Nord et de l’Est va jusqu’à demander la suppression pure et simple du “marrainage”. Cette proposition reste toutefois lettre morte. Même critiquées, les marraines de guerre sont trop populaires pour qu’on puisse envisager de les interdire.
Aujourd’hui, les courriers échangés entre filleuls et marraines constituent une thématique passionnante de collection. Sont particulièrement recherchés les ensembles complets, permettant de percevoir l’évolution des liens entre les correspondants. Tout aussi intéressante est la collection des cartes d’époque représentant marraines et filleuls, le sujet ayant notamment fait le bonheur des caricaturistes.
La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacre pas. (Paul Valéry)
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