La pièce de monnaie la plus étrange (suite)

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Un grand rai du village de Gachpar

Suite de la démonstration sur les monnaies, qui intéressera sans doute les numismates, mais aussi certainement tous nos lecteurs, collectionneurs ou non … (revoir le début)

Ces pièces de monnaie de 15 tonnes, c’est très pratique (et comment ils en sont arrivés là)

Tout commence avec la conquête de Palau, île à 200km de Yap. Les conquérants y découvrent une roche inconnue à Yap, riche en aragonite. L’aragonite est un cristal qui a les mêmes reflets qu’une perle : c’est beau. Les Yapais sont séduits par cette pierre inconnue jusqu’alors, et ils décident d’en rapporter sur leur île.
La forme circulaire percée d’un trou est choisie pour permettre le transport et la manipulation des pierres (toute ressemblance avec une pièce de monnaie est fortuite).
Précision importante, à aucun moment quelqu’un s’est dit : et si on en faisait une monnaie ?
Une fois rapportées à Yap, il faut bien avouer que ces pierres ne servaient pas à grand chose mais elles étaient belles et rares alors les habitants leur ont accordé de la valeur. Petit à petit, des expéditions ont été menées afin d’en rapporter d’autres. Les habitants ont commencé à se les échanger. Cela a peut-être pris un siècle, sans doute plus.
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Présentation d’une monnaie de pierre lors de la déclaration d’indépendance des États fédérés de Micronésie en 1978

Si elles se sont installées comme monnaie dans la durée c’est parce qu’elles constituaient le meilleur système.
C’est un point important. Les monnaies sont quelque chose, si ce n’est de naturel, de très fortement ancré dans les habitudes humaines. Elles se mettent en place naturellement : cigarettes en prison, billes dans les cours de récré… Vous n’avez pas besoin d’une banque centrale pour établir une monnaie ou une proto-monnaie.
La raison pour laquelle les rai ont pris le statut de monnaie, c’est parce qu’ils étaient le système le plus stable avec juste ce qu’il faut de flexibilité.
En effet, si vous voulez produire des rai, vous devez commencer par aller jusqu’à l’île de Palau. Là-bas, vous devez extraire puis tailler la pierre. Et surtout — et c’est-là que cela devient un exploit— vous devez rentrer avec la pierre ! Imaginez un caillou de 15 tonnes — c’est-à-dire le poids de 3 éléphants — arrimé sur une pirogue comme celle-là :
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La valeur des rai était littéralement dans la difficulté à les rapporter à Yap. Et c’est d’ailleurs vrai pour toutes les monnaies. Si une monnaie se produit facilement, alors il se trouvera des gens pour la produire en quantité jusqu’à ce que la monnaie ne vaille guère plus que son prix de production. Et cela vaut aussi dans une situation de monopole… Il se trouvera toujours un roi pour en profiter. C’est encore une loi de la nature.
Ainsi, tant que l’économie et les échanges sur Yap sont stables ou décroissants, les rai sont stables ou perdent de leur valeur. Il n’y a donc pas d’intérêt à aller s’embêter à en chercher d’autres.
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Monnaies de pierre sur leur tronc, prêtes au transport, 1903

En revanche, si l’économie et les échanges se mettent à croître, alors la demande en rai augmente ainsi que sa valeur et il y a un intérêt à se déplacer en chercher d’autres. Ainsi la monnaie suit naturellement l’expansion économique sans qu’il y ait besoin de taux directeurs ou d’interventions de banques centrales.

Le point important est de comprendre que la valeur des rai est dans l’effort à fournir.
Alors, que pensez-vous de cette logique ? Si le sujet vous intéresse, regardez donc la conclusion de cette démonstration sur le blog de l’investisseur sans costume.


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3 réflexions au sujet de « La pièce de monnaie la plus étrange (suite) »

  1. Heureusement qu’il ne faut pas déplacer ces monnaies trop souvent. Vous imaginez la taille du porte monnaie et les biceps des habitants !
    Par contre comment faisaient ils pour transporter de telles masses avec les pirogues ?

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    • Les deux cartes postales montrent en partie comment : la dernière montre comment un tronc d arbre dans le trou central de la pièce permettait de la faire « rouler » jusqu’à la berge. La carte précédente montre les rais ensuite allongés sur un « lit » de bois, lui-même tiré par la pirogue : c’est un métier en effet !

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