Un pli, c’est un morceau d’Histoire #1

Pendant le confinement, un collègue timbré se décida à céder aux enchères sur facebook divers produits philatéliques dont il souhaitait se débarrasser. Bien lui en fit car pour quelques euros seulement je fus l’heureux gagnant d’une quinzaine de timbres d’ex-colonies françaises qui me manquaient (Diego-Suarez, Nossi Be, Ste Marie de Madagascar, Zanzibar, …), mais aussi et surtout de trois plis anciens. Et ces trois plis m’ont réservé de belles surprises lorsque je les ai reçus … en me racontant un pan de notre Histoire :

AssembleeNationale1Le premier de ces plis n’est pas à proprement parler une pièce exceptionnelle, loin s’en faut, il s’agit d’une simple enveloppe à en-tête de l’Assemblée Nationale, mais ce qui m’avait attiré c’était le timbre à date « Assemblée Nationale – Vichy » que je trouvais original, et c’est alors la seule raison qui me fit y miser quelques cents.

AssembleeNationale2Par contre, dès la réception de ce pli je le regardais d’un peu plus près, et en particulier la date figurant au centre du cachet « Assemblée Nationale – Vichy » : 10 juillet 1940 … 10 juillet 1940 … mais c’est bien sûr !

C’est le jour où cette Assemblée Nationale, celle qui est issue des élections de 1936 ayant conduit au Front Populaire, vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain pour diriger la France en guerre !

Une des journées les plus noires de cette institution … Mais revenons un peu en arrière pour resituer le contexte.

Petain_Bersier_521La deuxième Guerre Mondiale débute le 3 septembre 1939 par la « drôle de guerre » où chacun campe sur ses positions. Mais le 10 mai 1940 les allemands passent à l’offensive et gagnent rapidement du

maxime_weygand

Général Weygand

terrain. Face à cette situation, Paul Reynaud, Président du Conseil, prend la parole au Sénat le 21 mai 1940 : « Messieurs, la patrie est en danger. (…) Ce matin, à 8 heures, le commandement m’informait qu’Arras et Amiens étaient occupées. (…) Dans le malheur de la Patrie, nous avons la fierté de penser que deux de ses enfants, qui auraient eu le droit de se reposer sur leur gloire, sont venus se mettre, en cette heure tragique, au service du pays : Pétain et Weygand. » 

Le premier est nommé Président du Conseil tandis que le second sera le commandant en chef de l’Armée française.

Edouard_Herriot_1977Le 10 juin, devant l’avancée des troupes allemandes, le Gouvernement quitte la capitale pour se replier en Touraine, puis à Bordeaux, à Clermont-Ferrand et finalement à Vichy, ville d’eaux située en zone libre et pourvue de nombreux hôtels qui pourront accueillir députés et sénateurs, qui ont à l’époque pour présidents respectifs Edouard Herriot et Jules Jeanneney (voir le dossier d’histoire sur ce déménagement du Gouvernement)

Et c’est donc le 10 juillet 1940 que l’Assemblée nationale, réunie au Grand-Casino de Vichy, se sabordait, confiant à Philippe Pétain les pleins pouvoirs et le soin de « réviser les lois constitutionnelles ». Par une cruelle ironie, la IIIe République, née du désastre de Sedan en 1870, mourait ce même jour (également à Sedan) de l’offensive éclair déclenchée par une Wehrmacht en apparence invincible.

Pierre_Laval_Grand_Casino_de_Vichy_10_juillet_1940

Pierre Laval à la sortie du Grand Casino de Vichy, le 10 juillet 1940, jour du vote à l’Assemblée nationale des pleins pouvoirs au maréchal Pétain

Marcel Astier, sénateur radical-socialiste de l’Ardèche, pouvait bien conclure cette séance sans relief par un « Vive la République quand même ! », la messe était dite : le régime républicain, après soixante-dix années d’existence, s’effondrait sans panache, cédant la place à un État français qui, sans être fasciste, défendait une orientation autoritaire, liberticide, antisémite et réactionnaire, aux antipodes des valeurs démocratiques.

Leon_Blum_1982On préfèrera sans doute retenir de cette journée que, emmenés par Léon Blum et majoritairement de gauche, 80 députés et sénateurs ont rejeté ce projet de loi confiant au gouvernement dirigé par Philippe Pétain, qui venait de signer l’armistice avec l’Allemagne, « tous pouvoirs » pour élaborer une nouvelle Constitution.

Ce texte, adopté à une écrasante majorité de 569 voix, contre 80 non et 20 abstentions, n’avait jamais débouché sur une Constitution. Mais il avait servi de base légale au régime de Vichy, permettant notamment l’entrée en vigueur, sans contrôle parlementaire, de la loi sur le statut des juifs.

AssembleeNationale_GallieniOriginalité supplémentaire : sur ce pli du 10 juillet 1940 figure le timbre qui représente le Général Galliéni, connu pour être … un fervent républicain !

Pas mal comme histoire pour une petite enveloppe, non ? A suivre : une autre belle histoire avec les deux autres plis obtenus …


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4 réflexions au sujet de « Un pli, c’est un morceau d’Histoire #1 »

  1. En fait Sylvain il ne s’agit pas d’un timbre à date proprement dit mais un tampon, caoutchouc certainement, apposé pour commémorer ce qu’il est difficile d’appeler un événement.
    Bien amicalement

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  2. Ne faudrait il pas écrire Vichy plutôt qu’encore Sedan dans la phrase  » Par une cruelle ironie, la IIIe République, née du désastre de Sedan en 1870, mourait à Sedan » (« mourait à Vichy » semble correct)

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    • Merci pour votre commentaire et pour l’intérêt porté à notre blog ! Il s’agit bien de Sedan pour ces deux éléments : on parle de « Bataille de Sedan » pour 1870, et de « Percée de Sedan » entamée le 10 juillet 1940 par la Wehrmacht. J’ai modifié un peu le texte pour le préciser, merci.

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