La généalogie (recherche de ses ancêtres) n’est pas une collection mais elle s’en rapproche car généalogistes, cartophiles, et philatélistes sont tous passionnés par la recherche historique, géographique ou culturelle. Voici un article tiré de histoire-généalogie qui vous le prouvera certainement.
Roland Mongaï, en recherchant ses ancêtres, tombe sur une carte postale qui va lui apporter beaucoup d’informations … et lui poser bien d’autres questions !
Enquête sur une carte postale
Une brève étude concernant la famille De Marion Gaja m’a fatalement conduit au village de Gaja-la-Selve (Aude), village dont cette famille est originaire, et de là, au château de Las Courtines.
Ma curiosité me pousse alors à chercher une photo de ce château. J’en trouve une, dont je fais l’acquisition. C’est une carte postale, timbrée, tamponnée, écrite, signée … magnifique. Regardons-la ! Décortiquons-la !
L’analyse
Examinons en détail ce recto. Que voit-on ? En tout premier le lieu, l’endroit, le titre…
Il ne laisse aucun doute et valide la résidence de la famille De Marion Gaja.
Une pompe, une houe et, semble-t-il un panier, une nasse ou une cage. Des accessoires qui meublent cette vue champêtre. Tout cela est, à mon sens, normal.
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Mais il y a mieux : Sur un banc, dos au Château, un couple est assis avec deux jeunes enfants dont l’un, sur les genoux du Monsieur, parait-être un bébé (cheveux courts et jambes nues). Celui sur les genoux de la Dame semble être une fillette (cheveux longs et en robe) un peu plus âgée.
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Nous voyons aussi deux domestiques, en tabliers blancs. Elles sont probablement, Cuisinière ou Femme de Chambre, ou Fille de Service. Ces termes proviennent des feuilles de recensement que, par et pour la suite, j‘ai examiné attentivement.
Décortiquons maintenant l’autre face de la carte postale.
Le cachet de la poste nous renseigne sur la date : 5-8-18. Ce qui correspond au 5 Août 1918. La Carte Postale n’étant apparue officiellement, en France, qu’aux environs de 1873, il ne peut donc pas s’agir de 1818.
Le DARY et AUDE, laisse supposer que la carte est partie de CASTELNAU-DARY. Ce qui est logique, vu la proximité des lieux (Gaja-la-Selve à Castelnaudary = 18 à 19 Km).
Enfin le timbre : une Semeuse de 15 centimes vert-gris fut en service entre 1903 et 1927.
Ainsi ce courrier est parfaitement daté, situé, identifié.
L’expéditrice est une certaine Marthe qui pourrait bien habiter le Château de Las Courtines à Gaja-la-Selve. Son mot en haut de la carte et sa signature confirment ces avancées.
Marthe doit être une jeune fille ou au plus une jeune femme célibataire car elle écrit : je m’amuse beaucoup ici. Ces mots ne peuvent pas venir d’une épouse ou d’une mère.
Le ici, fait penser que ce n’est pas son lieu habituel de résidence.
Enfin la destinataire pose une dernière énigme :
Marthe écrit à sa Chère Solange qui habite le Château de Barbet à Lombez dans le Gers. Solange avait, peu avant, adressé une carte à Marthe qui en accuse réception : J’ai reçu ta carte… Nous notons que Marthe a eu bien plaisir à lire cette carte.
L’adresse nous apprend encore le nom de famille de la destinataire : De Scorbiac !
Les questions
Vous comme moi, suite à cet examen, avons des questions auxquelles nous avons hâte de répondre et nous pouvons les scinder en trois groupes :
A – Qui sont les gens que l’on distingue sur cette carte postale ?
A1 – Qui est le couple assis sur le banc ?
La photographie n’a pu être prise qu’après 1873 mais bien avant 1918. Sur la feuille de recensement de 1881 – Gaja-la-Selve – on note, entre autres personnages, la présence suivante :
De Marion Gaja Fernand Melchior Thérèze qui a 37 ans, au moment de ce recensement.
Mais son épouse : De Fortanier Jeanne Marie Ida, ne figure pas sur cette feuille car elle décède le 16 avril 1879. Elle est donc fatalement absente (et pour cause !) de ce recensement. Ce qui replace le trépied du photographe en 1878.
En 1878, Fernand est âgé de 33 ans. Son épouse, Ida, a 30 ans. Et là, ça ”colle”. Nous avons identifié le couple photographié sur le banc car ils habitent là.
A2 – Qui sont les bambins qu’ils ont sur leurs genoux ?
En 1878, le couple a 3 enfants vivants :
Marie Hippolyte Henri, né le 9 Février 1873, qui a 5 ans en 1878
Thérèse Marie Octavie, née le 6 Mars 1876 a 2 ans (au moins) cette même année.
Ernest Marie Hubert, né le 22 janvier 1878 a moins d’un an devant l’objectif.
Joséphine Marie Louise (1879-1898) n’est pas encore née !
En revenant à la photo, et selon ce constat, nous pouvons dire qu’Octavie est sur les genoux de sa Maman et qu’Hubert repose sur ceux de son Papa.
Henri, 5 ans, n’est pas sur la photo… A moins qu’il soit dans les bras de la domestique qui est au premier plan : Son visage semble en cacher un autre et le léger cintre de son dos entretient cette idée.
Ainsi tout est dit, tout est démontré, tout se vérifie à propos des bambins De Marion Gaja.
A3 – Peut-on mettre un nom sur les domestiques ?
Ici, on ne peut rien affirmer de but en blanc, car le « Château » emploie couramment 4 domestiques. En 1876, il n’y en a que 3 : Le cocher et sa femme, plus un homme de chambre Baptiste CANDEIL.
En 1881, on retrouve le même cocher et son épouse ainsi qu’une Cuisinière. Il y a de fortes présomptions pour qu’elle ait remplacé l’Homme de chambre – Baptiste Candeil – après le recensement de 1876.
Ainsi, les noms de nos deux domestiques sont, très certainement :
Lacoste Marie (1843-), qui a 35 ans en 1878, épouse du cocher Combes Vital et,
Bonnefoy Rose, la cuisinière, âgée de 22 ans en 1878.
B – Qui est Solange, la destinataire ?
B1 – Qui est Solange De Scorbiac ?
Une visite chez Monsieur Généanet nous fournit le résultat :
Jeanne Marguerite Marie Solange de Scorbiac est née à Rabastens (81) le 4 Juillet 1907. C’est donc à une gamine de 11 ans qu’écrit Marthe qui ne doit pas être beaucoup plus âgée.
On peut ainsi considérer, sans risque d’erreur, que Solange De Scorbiac est parfaitement identifiée.
B2 – Marthe et Solange sont-elles parentes ?
B2a – Sont-elles sœurs ?
De prime abord, aucune Marthe parmi les enfants du couple De Scorbiac & D’Aure. Elles ne sont donc pas sœurs.
B2b – Sont-elles cousines germaines ?
Elles ne peuvent pas non plus être cousines germaines car la sœur ainée de Solange- Marie Thérèse – n’a que 5 ans de plus qu’elle et ce n’est qu’en 1950 que Marie Thérèse se marie avec Gorges Landes.
B2c – Marthe est-elle la tante de Solange ?
Pour cela, nous avons deux possibilités, le côté paternel et le côté maternel :
Côté paternel, Marie Raoul Joseph n’a pas de sœur prénommée Marthe !
Côté maternel, on constate que Louise Marie Valérie d’Aure est dans la même situation !
- B2d – Marthe est-elle une cousine germaine de l’un des parents ?
Là, il nous faut observer 4 familles : les De Scorbiac, les De Marcelier De Gaujac, les D’Aure et les De Cassan-Floyrac qui correspondent aux fratries des grands parents de Solange.
1) Le couple De Scorbiac & Chastenet De Puysegur n’a aucune Marthe parmi leurs 10 enfants.
2) Le couple De Marcelier De Gaujac & De Saintegeme n’a qu’une fille, mais dont aucun de ses prénoms n’est Marthe.
3) Le couple D’Aure & Des Esgaulx de Nolet n’aurait que deux garçons…
4) Le couple De Cassan-Floyrac & De Patris a 4 enfants dont deux filles dont aucune ne porte ce prénom de Marthe.
Me voilà revenu bredouille de cette chasse… Je reviendrais sur la personnalité de Marthe au § C.
B3 – Peut-on retrouver le Château de Barbet à Lombez (32) ?
Ce château existe bel et bien. Il est situé à Lombez (Gers). On en trouve une belle carte postale sur Généanet. C’est aujourd’hui un hôtel-restaurant.
C – Qui est Marthe, la rédactrice de cette carte ?
C1 – Est-ce une amie de Solange ?
D’elle, nous savons qu’en 1918 elle sait lire et écrire. Nous pensons qu’elle doit être âgée de 12 à 16 ans. C’est une proche de la famille De Scorbiac et en particulier de Solange.
A ce jour, il n’est pas prouvé qu’elle soit parente avec Solange. Voyons si c’est une amie !
Les De Marion Gaja ont quitté le village de Gaja-la-Selve entre 1881 et 1886 (Ils sont partis en Algérie). Au dernier recensement en ligne (1891) ce nom n’apparait plus dans les feuilles du recensement au niveau du lieu-dit Château Las Courtines.
De plus, nous ne pouvons pas affirmer que Marthe habite Gaja-la-Selve.
En attendant, passons aux questions suivantes dont les réponses apporteront, peut-être la solution.
C2 – Quel est son nom de famille ?
Il est sûr que mettre un nom sur cette adolescente ne sera pas facile ! Pour tenter de le retrouver, j’ai usé de recherches multiples sur Geneanet mais sans résultat.
Autre possibilité : Lombez (32) n’est pas très loin de la limite avec la Haute-Garonne (31) et plus particulièrement des villages de Sajas, Mauvezin, L’Isle-Dodon, Puymaurin, Agassac, Forgues. Mais aucune de ces communes ne renferme une Marthe acceptable.
Dernière possibilité : Elle n’est pas simple et très improbable… Il faudrait retrouver la carte écrite par Solange (J’ai reçu ta carte…), depuis Lombez, à Marthe qui se trouve à Gaja-la-Selve. Là, le nom de Marthe doit apparaître… et cela mettrait fin à cette haletante énigme. Je peux rêver … Mais pour aller au bout de cette idée, j’ai tenté de me rapprocher des actuels propriétaires de « Las Courtines ». Ils ne souhaitent pas coopérer.
Fausse joie : Aurions-nous retrouvé Marthe ?
La lecture attentive des actes en ma possession, me délivre une Marthe tout à fait convenable ! C’est une belle-sœur :
Un des frères de Solange : Bernard Charles Marie Joseph Paul De Scorbiac est marié avec Françoise Charlotte Ernestine Anne Marie Lafont qui se prénommerait aussi Marthe. On découvre cette appellation sur une annotation marginale concernant son mariage : Anne a disparu au profit de Marthe, qui avait 10 ans en 1918.
Et me voilà maintenant avec une foule d’autres questions :
Comment les fillettes se connaissent-elles ? Sachant que Solange vit au Château de Barbet à Lombez, dans le Gers (32) et que cette Marthe est née à Saumur dans le Maine-et-Loire (49) et qu’elle semble être en vacances à Gaja-la-Selve dans l’Aude (11).
Pour que ces 2 gamines échangent du courrier, il faut nécessairement que les parents se fréquentent. A quelles occasions ? Et où ?
Comment et où Marthe a connu le frère de Solange ? Ceci est un peu une question logique, normale. Ils se connaissent depuis tout petit. Et puis un jour ils décident (ou les parents décident) d’unir leur destin…
Pour conclure ce paragraphe, je crois que cette Marthe est une fausse « Marthe » car :
Son acte de naissance comporte les prénoms de Charlotte, Ernestine, Anne, Marie. Pas de Marthe !
Son acte de mariage comporte les mêmes prénoms. Pas de Marthe !
Son acte de décès est sans aucun changement à ce niveau. Toujours pas de Marthe.
Ce serait donc une erreur de l’Employé(e) de l’Etat-Civil qui a mal transcrit l’annotation marginale sur l’acte de naissance de l’époux. Nous dirons que ce jour-là, il/elle avait la tête ailleurs.
A moins que cette fillette, ne trouvant aucun de ses prénoms – Françoise, Charlotte, Ernestine, Anne et Marie – à son goût, elle se fasse prénommée Marthe par son entourage. Mais alors, comment l’employé(e) le saurait-il ? Le mystère reste entier …
Voilà : j’espère que cette enquête sur une carte postale vous aura passionné comme cela a été pour moi !
Devant tant d’énigmes, il conviendrait de faire appel à Hercule Poirot et ses petites cellules grises !
A partir d’une simple carte postale pour celui qui est curieux, quelles recherches et quelles découvertes
Respect !
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Maigret et Colombo n’ont plus qu’à bien se tenir
Bravo
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belle enquête instructive – bravo et combien d’heures ?
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