Le dernier philatéliste professionnel du pays a fermé boutique. Serge Ungeheuer avait repris l’affaire de son papa en 1985. Il raconte sa passion du timbre.
Les timbres sont un voyage et au 17 boulevard Prince-Henri, en Ville, on ne voyagera plus. «Nous avons tenté de trouver un repreneur, explique Serge Ungeheuer. Mais la philatélie n’est pas un métier facile. Il n’existe pas d’école pour apprendre ça, le domaine de prospection est mondial et vous faites face à des passionnés…» Dommage, car la Banque du timbre avait sa clientèle. D’ailleurs, deux semaines après la fermeture officielle de la boutique, les passionnés affluent encore. «Les gens disent qu’ils nous regrettent, qu’il n’y aura plus de philatéliste professionnel au Luxembourg… Nous terminons les stocks. Mais ça fait déjà deux ans que nous devrions être pensionnés avec ma femme.»
Un comptoir, des centaines de catalogues de timbres, une deuxième pièce plus petite pour les expertises. Des loupes, des petits halogènes, des pincettes comme dans le cabinet d’un dentiste : le magasin n’a pas bougé depuis 1956. Un commerce familial comme on n’en fait plus. «Quand je regarde l’arrière-boutique, je vois la salle de jeux de mon enfance, glisse Serge. Puis un jour, en 1985, mon père a réuni la fratrie : ‘je vais arrêter le magasin, qui veut le reprendre ?’ J’y étais tellement attaché que j’ai levé le doigt.» Serge et sa femme, Marie-Jeanne, embarquaient dans le grand livre du timbre, ils avaient 22 ans.
Plus de 30 ans de passion
Durant 33 ans, Serge a tout connu. Des clients américains venus chiner entre deux avions, aux cambriolages d’idiots incapables de connaître la valeur de leur butin… Le
meilleur souvenir de Serge restera les clients fidèles, «des anciens comme des jeunes, chacun avec leurs aptitudes de collectionneurs». La nouvelle génération dépensait moins, mais de façon plus ciblée. «C’est comme ça qu’il faut procéder de toute façon. Les timbres racontent des histoires, explique Serge. Il faut choisir celles que l’on veut admirer.» Des collections par pays, par époque, par motifs animaliers ou sportifs… «Dès le départ, au XIXe siècle, le timbre a cherché à dépasser son côté utilitaire.» Les nations l’utilisent comme un moyen de communication puissant : on rappelle le visage d’un souverain, la beauté d’un lieu. «Au XXe siècle, la production s’est diversifiée. Des séries spéciales se sont répandues, faisant le bonheur des collectionneurs.»
Le Luxembourg émet aujourd’hui un million de timbres par an contre trois millions dans les années 1960. Notons des séries très demandées, comme celle sur le secours international aux métiers intellectuels, émise en 1935. Une partie du prix du timbre était versée au profit des intellectuels oppressés dans le monde. Les heures fastes de l’histoire sont célébrées : l’ARBED fait son apparition à partir de 1921, avec l’usine de Dudelange. Les heures noires parlent d’elles-mêmes : à partir de 1940, les timbres luxembourgeois sont repris par les nazis tels quels, qui les estampillent juste aux initiales du Mark du Reich… En plein sur le profil de la Grande-Duchesse Charlotte. Tout en finesse.
Les grands évènements font l’objet de séries spéciales, comme en 1962 avec les mondiaux de cyclo-cross à Esch-sur-Alzette. Ou en 2006 pour les 100 ans de la création du football dans le pays, avec le Fola-Esch.
Ou des rétrospectives importantes, enfin, comme ce timbre sorti en 2008 à l’effigie d’Henri Pensis, le premier chef d’orchestre de l’ensemble philharmonique de Luxembourg. Autant d’histoires que Serge referme avec un pincement au cœur.
L’album de la famille princière
La naissance du timbre s’est faite à l’effigie de la famille princière au Grand-Duché.
Le jeune État, pas encore neutre et indépendant (1867), avait émis son premier timbre en 1852, avec un portrait de Guillaume III. À l’époque, chaque plaquette était imprimée par un processus de gravure, et les agents de la poste devaient découper les timbres un par un !
Dans les collections privées, on découvre ainsi certains timbres maladroitement coupés… Ce sont des authentiques, que les philatélistes conservent dans des albums de papier neutre en acide, pour éviter l’érosion du temps. La famille princière a depuis toujours occupé une place de choix sur les timbres.
Un véritable album photo où l’on suit l’évolution des enfants ! L’un des plus caustiques est celui à l’effigie de la princesse Marie-Gabrielle, émis en 1929… Quelle moue de l’enfant !
L’un des plus beaux est évidemment un timbre à l’effigie de la Grande-Duchesse Charlotte, publiée en 1939. Quelle classe et quelle détermination dans le regard…
Source : Le Quotidien
Une histoire de plus qui se termine, en manque de successeurs.
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