32ème numéro de « Multicollection » où je vous invite à découvrir une collection particulière, avec son nom quelquefois bizarre, sa description, ses principes de classement ou de référencement, quelques chiffres et liens utiles, ou un article de presse sur le sujet … Bien entendu, tous vos commentaires sont les bienvenus, que ce soit pour nous dire que vous êtes un fervent adepte de la collection présentée, ou pour nous donner des compléments d’information : à vos plumes !
Missuphilie
Non il ne s’agit pas de missels d’église, mais c’est tout de même du papier. Il ne s’agit pas non plus de photos de miss France, mais plutôt d’une collection aux petits oignons. Ca y est, vous y êtes ?
La missuphilie est tout simplement la collection de menus de restaurants, une collection somme toute assez intimiste mais très originale, comme par exemple celle de ce breton :
À Perros-Guirec (22), Yves Françoise collectionne les menus gastronomiques disposés sur les grandes tables des réceptions officielles, du XIXe siècle à nos jours. Le militaire à la retraite en publie depuis quelques années sur les réseaux sociaux, via son compte Twitter. Non sans un certain succès. Car ces menus prestigieux entretiennent aussi la légende d’une diplomatie française basée sur l’art de la table.
C’est l’un de ses petits rituels. Quelques mois après l’élection d’un nouveau président de la République, Yves Françoise quémande un menu de prestige aux services de l’Élysée. Le jeu en vaut parfois la chandelle. Sous François Hollande, lui était finalement parvenu le menu offert à la Reine d’Angleterre, le 6 juin 2014, à l’Élysée, pour le 70e anniversaire du Débarquement. Fait rare, juste avant les mets proposés à Élizabeth II, parmi lesquels un baron d’agneau de Sisteron aux saveurs printanières et quelques petits légumes de jardin, figure une autre carte.
Celle des dix-sept plats, dessert compris, servie un siècle plus tôt, à l’aube de la Grande Guerre, à son grand-père George V. Ce n’est pas la seule attention. « Regardez bien les vins… », souffle Yves Françoise. Un château d’Yquem 1997 pour la Reine, le vin des rois, quand son aïeul s’était délecté du cru 1887 pour célébrer les dix ans de l’Entente cordiale entre les deux pays. Un champagne Pol-Roger cuvée Winston Churchill, de 2000, figure aussi à la carte. Nul besoin de préciser la référence. C’est là, pour Yves, que ses menus se subliment : quand la haute gastronomie rencontre la diplomatie.
En soie, illustrés…
« J’ai commencé à les collectionner au début des années 80, en achetant une caisse de vieux papiers », raconte le missuphile (le nom que l’on donne aux chercheurs de menus). Très vite, et puisqu’il était « impossible de s’intéresser à tous les genres (voyages, restaurants…) », il empile principalement des menus dits « officiels », que l’on ne sort que pour les réceptions fastueuses où l’on découpe parfois le monde entre la poire et le fromage. Il les trouve principalement à Paris, où il vivait jadis.
« Sur les quais, face à l’hôtel des monnaies, dans les ventes aux enchères (Drouot), sur eBay, les brocantes et parfois auprès de maîtres d’hôtels. J’en ai acheté à un franc, à l’époque. Plus généralement, le prix tourne maintenant autour de 15 € et ça peut aller jusqu’à 500 € », informe le militaire à la retraite.
Parmi ses plus belles pièces, des menus en soie, datés de 1933 et d’une visite d’Albert Lebrun chez les canuts lyonnais.
Des grandioses, également, réalisés au début de la Cinquième République sous le Général De Gaulle et illustrés avec des dessins signés Georges Visat, Robert Cami ou Albert Decaris.
« J’ai un classeur par dirigeant, de Napoléon III à François Hollande », assure le collectionneur.
En revanche, il dispose d’assez peu de pièces bretonnes. « Lors des successions, les Bretons sont plutôt du genre à tout brûler ».
Reste cette invitation à un banquet, vers Colpo (56), envoyée à Napoléon III, en 1858. À l’époque, l’Empereur voulait s’assurer du soutien des catholiques de l’Ouest.
« Sa Majesté l’Empereur a daigné autoriser le Conseil Général d’Ille et Vilaine à lui offrir au nom du Département un Banquet Breton dans la grande salle de l’ancien Parlement. Le Conseil Général d’Ille et Vilaine a l’honneur d’inviter Madame la Comtesse de Labédoyère Dame du Palais de S M l’Impératrice à ce banquet qui aura lieu le vendredi 20 Août prochain à 11 heures du matin. Madame la Comtesse est instamment prié de faire connaître s’il lui sera possible de se rendre à l’invitation qui lui est adressée au nom du département. Il voudra bien faire parvenir par la voie la plus prompte, sa réponse à M. le Préfet, à Rennes, et y joindre son adresse, afin que sa carte personnelle puisse lui être envoyée sans retard.
Rennes le 26 Juillet 1858«
Gazouillis sur Twitter
En 2001, sa vie de collectionneur prend un tournant numérique. Menustory.com, son site sur l’histoire des menus, voit le jour. « Je me suis dit qu’une collection ne devait pas être cachée. Elle devrait au contraire être vue par les personnes qu’elle peut intéresser ». Yves en profite pour fouiller un peu ses menus. À quelles places étaient les invités ? Que s’y est-il raconté ? Il chine des plans de table et déniche des coupures de presse retranscrivant avec précision les repas. C’est ainsi que le collectionneur peut découvrir, à propos de la Reine d’Angleterre, encore elle, une anecdote fameuse, lors d’une réception à l’Élysée en 1957. « Elle avait lu « Hérissons au nid », inscrit sur le menu. Elle s’est dit qu’après les cuisses de grenouilles et les escargots, on n’allait pas lui faire manger du hérisson. Elle a donc diligenté une petite enquête pour savoir ce qu’il se tramait. Derrière le libellé, se cachait en réalité une boule de foie gras piquetée de filets de truffes ».
Puis, dix ans plus tard, il commence à poster toute cette documentation, au rythme d’un menu anniversaire par jour, sur Twitter. Parmi les suiveurs de @Menustory, on retrouve Guillaume Gomez, le col bleu-blanc-rouge de l’Élysée. Mais aussi le critique gastronomique Sébastien Demorand, quelques personnalités politiques, des journalistes. Le militaire à la retraite élargit chaque jour sa petite base de suiveurs sur internet. Presque un comble, pour un passionné de vieux papiers.
Sarkozy sucre le fromage
Chaque menu est un petit trésor, qui en dit parfois long sur les tempéraments ou l’état de santé des présidents. « Nicolas Sarkozy avait enlevé le fromage, pour aller un peu plus vite », analyse Yves. Le missuphile a également mis la main sur des menus intimes sous François Mitterrand. Des repas partagés en famille ou, parfois peut-être, avec un ministre. « Le 14 février 1984, deux menus sont édités, un normal et l’autre allégé et sans vin. Était-ce pour le président lui-même, peut-être déjà malade à cette époque ? ». Possible.
« Maintenant, les menus se ressemblent tous un peu », dit-il en désignant quelques cartes « hollandaises » très sobres, blanches, seulement recouvertes par les symboles de la République. La diplomatie de l’assiette, une recette très française, est-elle sur le déclin ? Yves n’a toujours pas reçu de menu de la part d’Emmanuel Macron.
Et pour terminer, comme Mr Bocuse vient de nous quitter, voici le menu du 25 février 1975, à l’occasion de la remise à Paul Bocuse de la médaille de Chevalier de la Légion d’Honneur par le président Giscard d’Estaing :
Source : Telegramme
- Menustory.com, l’incroyable site d’ Yves Françoise
- et la version sur Twitter, avec un menu par jour
- Menus d’hier
- la très importante collection de menus de la Bibliothèque de Dijon (lancer une recherche « menu »)