René-Robert Cavelier de la Salle

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YT2250 – 1982

Mars 1687, à l’est du Texas actuel. À quelques pas d’un campement de fortune, le ton monte au sein d’un petit groupe d’une douzaine d’hommes. Au centre, un robuste quadragénaire, vêtu d’une redingote de toile rouge fatiguée, exige des explications sur le ton de celui qui est habitué à commander : son neveu et deux autres de ses compagnons ont disparu, il veut savoir où et pourquoi.

Soudain, un coup de feu éclate, lâché par un tireur caché dans les hautes herbes. L’homme au manteau s’effondre, quelques insultes fusent, on lui arrache son vêtement et on fouille ses poches avant de l’abandonner aux bêtes, presque nu. René-Robert Cavelier de La Salle, l’un des plus grands explorateurs du Nouveau Monde, n’est plus.

Habité par un rêve : découvrir la rivière Ohio

Né en 1643 dans une famille aisée de Rouen, René-Robert a bien failli finir jésuite mais rompt ses vœux à 24 ans, déçu qu’on lui refuse le rôle de missionnaire qui aurait répondu à ses envies d’ailleurs. Le jeune homme n’a pas un sou vaillant ou presque, 600 livres de rente qu’il utilise aussitôt pour filer au Canada, ce bout de Nouveau Monde occupé par les Français depuis un gros siècle.

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Enveloppe Premier Jour – 18 dec 1982

Il perd très vite tout intérêt pour les terres qu’on lui a cédées à l’ouest de Montréal. Travailler la terre, surveiller ses gens ? Très peu pour lui : les espaces immenses d’un monde vierge l’appellent. Et tant pis si les tribus iroquoises semblent hésiter constamment entre l’envie de massacrer La Salle et ses semblables et celle de leur vendre ces fourrures qu’on s’arrache dans toute la vieille Europe.

La Salle vend tout ce qu’il a pour monter une première expédition, avec un rêve : découvrir la rivière Ohio et « ne pas laisser à un autre l’honneur de trouver le chemin de la mer du Sud, et par elle celuy de la Chine ». Ses neuf canots finissent par atteindre les rives des lacs Ontario et Érié quand l’expédition tourne court. Agacé par la présence de deux prêtres chargés d’une mission d’évangélisation dont il se moque, La Salle quitte ses compagnons.

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Portrait de Robert Cavelier de La Salle, gravure, 19e siècle (auteur inconnu)

Pendant des mois, seul, il sillonne un territoire immense et mène une vie d’aventurier dont on ne sait pas grand-chose : on ne revoit La Salle à Québec que trois ans plus tard, bien silencieux. Chargé par le gouverneur de la Nouvelle France d’assurer l’expansion de la colonie, il se dirige vers le sud-est et fonde le fort Cataracoui, premier maillon d’une route des fourrures dont tout le monde compte bien tirer gros.

Reste à obtenir l’agrément royal : La Salle revient en France et tanne Louis XIV jusqu’à ce que le roi lui accorde une concession pour le commerce de fourrures, l’autorisation de fonder des forts aux frontières et un titre de noblesse. Ceci dit, particule ou pas, La Salle a bien l’intention de se frotter encore et encore à ce Nouveau Monde qui lui tend les bras.

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Peintre officiel de la marine nationale, Théodore Gudin a peint ce tableau en 1844, Expédition de Robert Cavelier de La Salle à la Louisiane en 1684.

Des Grands Lacs à la Floride

Automne 1678 : La Salle achève la construction du Griffon, un bateau qui doit lui permettre d’explorer les Grands Lacs. Premiers Européens à remonter le lac Huron, lui et son équipage redescendent ensuite vers le sud du lac Michigan et s’aventure à pied, toujours plus loin le long de la rivière Illinois dans ces bois « tellement entrelacez de ronces et d’espines qu’en deux jours et demy, lui et ses gens eurent le visage ensanglanté et découpé de telle sorte qu’ils n’estoient pas reconnoissables ».

Mais c’est une seconde expédition, en décembre 1681, qui lui permet d’atteindre le Mississippi, puis le golfe du Mexique deux mois plus tard. À pied ou en canot, La Salle et ses hommes viennent de parcourir la bagatelle de 3 000 kilomètres. Une paille.

Le 9 avril 1682 est sans doute le plus beau jour de sa vie. Vêtu de la redingote rouge galonnée d’or qu’il quitte rarement, La Salle prend au nom du roi possession d’un immense territoire : la Louisiane. Une croix s’élève bientôt à l’embouchure du Mississipi tandis que l’orgueil au ventre, l’explorateur griffonne un procès-verbal dûment signé par douze témoins, sans compter les crocodiles qui se chauffent au soleil.

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« Lasalle prenant possession du Mississipi pour la France », lithographie de Jean-Adolphe Bocquin, XIXe siècle. | BNF

Et puis patatras : après des mois à risquer sa peau pour son roi, la reconnaissance royale se limite à une lettre lapidaire de Louis XIV, qui juge que tout ceci est « fort inutile et qu’il faut dans la suite empêcher de pareilles découvertes. »

Furieux, La Salle embarque séance tenante pour Versailles et fait le siège du cabinet du roi. Pour amadouer le souverain, le Normand n’hésite guère à faire dans le faux et l’usage de faux. D’un trait de plume, il déplace le Mississipi de 250 lieues vers l’ouest pour mieux en vanter les mérites : sur la fausse carte de La Salle, le fleuve semble un lieu idéal pour partir à la conquête des colonies espagnoles.

Quitte à mentir ouvertement, La Salle y va à fond, se vante de pouvoir recruter 15 000 Amérindiens pour attaquer les Espagnols et assure qu’il en a déjà 4 000 à sa disposition – quand ce n’est guère plus de 20 en comptant large…

Le va-tout de l’homme chagrin

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Canada – 300è anniversaire – 1966

Bombardé gouverneur de Louisiane, La Salle obtient quatre bateaux, dont un navire de guerre de 36 canons et 300 volontaires : soldats, artisans, missionnaires, commerçants… En théorie, de quoi fonder une petite colonie. En pratique, un désastre programmé. Dès La Rochelle, La Salle se heurte au capitaine de la flottille, Beaujeu.

Passablement agacé par ce parvenu qui veut tout diriger, celui-ci écrit, amer : « je vais dans un pays inconnu chercher une chose aussi difficile à trouver que la pierre philosophale, avec un homme chagrin. »

La suite est une accumulation d’erreurs et de coups du sort. Attaquée par des pirates, dispersée par les vents, la flottille est déjà diminuée lorsqu’elle atteint le vaste golfe du Mexique où La Salle se paume dans les grandes largeurs. Excédé, Beaujeu repart pour la France, abandonnant La Salle avec 180 malheureux.

Réfugiée dans un fort de fortune, la petite communauté est vite décimée par les maladies, entre deux attaques indiennes. En un an, la communauté est réduite à 40 âmes. La Salle se lance alors dans une tentative désespérée : partir chercher de l’aide au Canada, à des milliers de kilomètres plus au nord.

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Carte Maximum – 1982

Épuisés, exaspérés par le tempérament colérique et paranoïaque de La Salle, ses hommes frôlent chaque jour la mutinerie. Un soir, pour une broutille, une bagarre éclate – celle de trop : le neveu de La Salle y reste, massacré à coups de hache. Son oncle ne lui survit qu’une nuit, jusqu’à ce coup de feu parti des hautes herbes.

La suite n’est pas plus heureuse. Ce qui restait de la colonie disparaît l’année suivante, massacré par les Amérindiens. Quant au territoire immense offert par La Salle à la couronne de France, il sera perdu au siècle suivant : le Canada et la rive gauche du Mississipi finiront entre les mains anglaises, en 1763 ; la rive droite du grand fleuve et la Nouvelle Orléans seront cédées à l’Espagne en 1800. La Louisiane, dernière terre française du Nouveau Monde, sera vendue aux États-Unis par Napoléon Premier, en 1801. Le territoire exploré par La Salle recouvre aujourd’hui quinze États américains, entièrement ou en partie.

Source : Ouest France


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