La réhabilitation des timbres utilisés invalidement : la solution

Luc Selis, Membre de l’Académie Belge de Philatélie et Vice-président de l’Académie de Philatélie des Pays-Bas, nous propose d’étudier un pli marcophile assez spécial :

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Il y a deux jours je vous ai soumis ce problème : pourquoi cette lettre, à priori (plus que) suffisamment affranchie, a-t-elle été taxée ? Voici la solution à cette question :

Affranchissement

L’expéditeur a affranchi la lettre avec deux timbres Sage bleus dentelés français de 15 centimes (émis en 1893), pour une valeur d’affranchissement totale de 30 centimes, soit 5 centimes de trop selon le tarif UPU. Cependant, selon un décret ministériel français (Circulaire ministérielle du 17 mars 1877), les timbres dentelés français n’étaient plus autorisés à être utilisés dans les colonies ; seuls les timbres émis pour les colonies pouvaient être utilisés (voir les catalogues Yvert & Tellier, mentionnés dans les sources). Le préposé aux postes de Saint-Pierre et Miquelon était apparemment au courant de cette décision et a refusé d’oblitérer les timbres français collés. Il a placé son cachet à date en bas à droite de la lettre ainsi que le timbre-T triangulaire à sa gauche.

Timbres_UtilisesInvalidement_2.png  Timbres_UtilisesInvalidement_3.jpg

Le timbre à date de SP&M et le timbre T triangulaire de Saint-Pierre & Miquelon.
Une analyse avec un spectromètre confirme que l’encre utilisée est identique.

Timbres_UtilisesInvalidement_4Conformément à la réglementation relative au traitement des timbres non valables, le commis de la poste de Saint-Pierre et Miquelon a également placé les chiffres 0 à côté des deux timbres français (voir les zéros au crayon dans les ovales rouges).

On peut également voir, au bord du Chiffre Taxe français marron de gauche, une partie d’un troisième zéro.

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En raison de l’invalidité établie des timbres français, la lettre n’était plus considérée comme affranchie et elle est partie pour la France au tarif d’une lettre non affranchie, soit 50 centimes selon le tarif du 16 février 1879 mentionné précédemment.

A l’arrivée en France, il faut donc normalement facturer 50 centimes d’affranchissement, conformément aux tarifs d’une lettre non affranchie. Cependant, seuls deux « Chiffre taxe » de 10 centimes ont été apposés (timbres dentelés de l’émission de 1893), marqués du triangle vide typique de la Poste française. Pourquoi n’a-t-on pas facturé 50 centimes ?

La solution

La réponse se trouve dans un règlement financier connu de très peu de philatélistes. Si un timbre français, invalide à l’étranger, est retourné en France de l’étranger sans dépréciation, il retrouve sa valeur déclarée. Cela est dû au fait qu’en France, tout comme en Belgique, le timbre est un fiduciaire, un moyen de paiement valable, à condition que le moyen de paiement soit utilisé dans le pays d’émission, à l’instar de la réglementation concernant les billets de banque, qui ne sont également valables que dans le pays d’émission. Ainsi, dès que la lettre est arrivée en France, les timbres bleus Sage de 15 centimes sont redevenus un moyen d’affranchissement valable. Le receveur des postes de Paris a transformé les deux timbres bleus Sage en « Chiffre Taxe » en y apposant un timbre T triangulaire. Ainsi, les timbres ont été dévalués et reconnus comme valides.

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À gauche le timbre T français, à droite celui de Saint-Pierre & Miquelon, clairement différent.

Les deux timbres Sage réhabilités de 15 centimes, transformés en timbres fiscaux, ainsi que les deux Chiffre Taxe français supplémentaires collés de 10 centimes, formaient le tarif à payer de 50 centimes pour une lettre non timbrée. Dans un article récent de 2020 de Charles Rioust sur la réhabilitation des timbres français à l’arrivée en France sur les lettres d’origine exotique, l’auteur écrit que ce n’est que très sporadiquement que le calcul correct était appliqué. Dans de nombreux cas, les lettres ont été traitées comme non affranchies à l’arrivée, ou le calcul de l’affranchissement supplémentaire à payer a été effectué de manière incorrecte. C’est pourquoi il est si agréable de constater qu’un facteur clairvoyant de Saint-Pierre et Miquelon et son collègue de Paris tout aussi clairvoyant appliquaient déjà les bonnes règles en 1893, ce qui a permis une acquisition rare dans une collection belge 100 ans plus tard.

Sources

  • Les Feuilles Marcophiles – Marcophilex XLIV – Charles Rioust, Timbres-poste français utilisés à l’étranger et déduction de taxe, 2020
  • Les Feuilles Marcophiles – Joseph Bergier, Le courrier de la Grande Pêche, 1992
  • Les Colonies Françaises 1848-1878 – Michele Chauvet, Brun & Fils, 2008
  • Timbres de France – Volume I – Yvert & Tellier 2017
  • Timbres des colonies Françaises – Tome 2-1 – Yvert & Tellier 2011
  • Wikipedia, Samaritaine Paris
  • Website LMVH: lvmh.com/houses/other-activities/samaritaine

Merci Luc pour cette contribution au blog de PHILAPOSTEL Bretagne !

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Une réflexion au sujet de « La réhabilitation des timbres utilisés invalidement : la solution »

  1. Bonjour Monsieur Coffinet,

    Merci pour ce magnifique document et toutes les informations le concernant.
    Un excellent Week-end.
    Bien amicalement.

    Michel BIELEN

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