En cette période de fêtes de fin d’année, les contes de fée sont appréciés. Sans être vraiment féérique, laissez-moi vous conter une petite histoire qui m’a emmenée sur une enquête philatélique et généalogique.
C’est une publication sur le groupe facebook « Bibliothèque philatélique marcophile » qui m’a attirée :
Alexandre, qui publie ce post, précise qu’il s’agit d’une « boîte chargée (valeur 25frcs), départ de Revins ( Ardennes), via Mezières ( Charleville-Mézières actuellement, Ardennes) pour Nancy (St Max les Nancy, Moselle ), du 14 Mai 1897, affranchie au type Sâge avec un 50c au type II ( YT 98), arrivée le 15 Mai. Les 2 faces de la boîte sont utilisées, une pour l’adresse, le montant de la valeur déclarée, la mention/griffe : « CHARGÉE » ainsi que la nature du contenu, l’autre face pour l’affranchissement et les informations de chargement. Malheureusement les informations de chargement ne sont que très partiellement visibles dans le cartouche prévu à cet effet, dommage…«
Il ajoute que « Ces boîtes servaient assez souvent à envoyer des bijoux notamment, scellée ici avec un sceau de cire ( cachet de famille) sur les 4 côtés et clos sur le dessus par une « agrafe » métallique.«
Cette boite m’a particulièrement attirée car il se trouve que j’en possède une également, donnée par un ami (merci Philippe !) et même si elle trône en bonne place dans mon bureau, je ne m’étais jamais demandé de quoi il pouvait s’agir …
Sur la face avant on peut y voir :
- les coordonnées de l’expéditeur « envoi de Mlle Buisson, 11 rue Lacépède Paris 5e At »
- celles du destinataire « Monsieur Emile Debourges Montoire-sur-Loir (Loir et Cher)
- un timbre à date malheureusement incomplet où l’on déchiffre le mois « 7 » pour juillet et l’unité de l’année « 2 »
- Une mention « Recommandé Valeur déclarée mille francs »
- Une autre mention manuscrite, « 69 grammes », sans doute écrite par le facteur pour calculer l’affranchissement
Sur la face arrière le Merson à 1 franc (YT121) – malheureusement bien abimé – qui a servi à l’affranchissement, et un timbre à date également incomplet où l’on distingue néanmoins la date du 20 juillet 1922 (levée de 16h) et quelques lettres « MONG » qui après quelques recherches correspondent au bureau de poste parisien de Monge … situé dans le 5e arrondissement à quelques pas de l’adresse de l’expéditrice.
Enfin, sur les quatre côtés, un cachet de cire avec les lettres « DP » qui retenait sans doute une ficelle enveloppant la boite.
Ce qui m’a intrigué, c’est le commentaire d’Alexandre qui dit que « Ces boîtes servaient assez souvent à envoyer des bijoux » . Se pose alors la question légitime : pourquoi une demoiselle enverrait-elle un bijou … à un monsieur, alors qu’au début du XXè siècle la galanterie ne fonctionnait que dans le sens inverse ! S’agirait-il d’un retour d’une bague à un amoureux éconduit qui lui aurait offert précédemment ?
La curiosité me pique, je me lance dans l’enquête ! Je pèse la boite vide en ma possession (42 grammes, alors que les cachets de cire sont en partie détruits) et en conclus que le contenu et son emballage hors boite devaient peser autour des 20 grammes. Par ailleurs, je m’attarde sur la valeur déclarée de 1000 francs en 1922 qui, d’après le convertisseur de l’INSEE, correspondait à l’époque à un pouvoir d’achat de … 1219€ d’aujourd’hui ! Ces deux éléments – poids et somme – pourraient tout à fait confirmer l’envoi d’un bijou.
Le mystère reste toutefois entier. C’est alors que je change de casquette pour me pencher côté généalogie, une autre de mes passions, pour essayer de rechercher ce Mr Emile Debourges de Montoire-sur-Loir. La recherche sur Geneanet me propose 49 résultats, que j’examine un à un pour trouver mon personnage, que je retrouve effectivement à Montoire. Malheureusement, pas de dates de naissance ou décès qui pourraient m’aiguiller davantage.
Alors il ne reste plus qu’à échafauder des hypothèses … S’il s’agit d’amoureux (éconduits ou non) qui s’adressent des bijoux en 1922, on peut estimer qu’ils auraient une vingtaine ou trentaine d’années à cette date. Direction les Archives du Loir et Cher et plus particulièrement les tables décennales, qui répertorient par dizaines d’années les naissances, mariages et décès survenus dans chaque commune. Sur les tables de 1893 à 1902, rien. Sur celles de 1883 à 1892, après avoir visionné rapidement les 350 premières pages … Bingo ! Je retrouve mon Debourges Emile Joseph Alix né le 10 janvier 1890 !
Direction maintenant vers les actes d’Etat civil qui nous permettront certainement de retrouver sa filiation, et ses mariages éventuels. Re-Bingo ! Voici retrouvé ci-dessous son acte de naissance où l’on apprend en mention marginale son mariage à Montoire le 2 avril 1929 avec … Denise Jeanne Marie Buisson ! Le mystère est désormais éclairci : si l’amoureux de 1922 s’est fait éconduire avec un retour de bague … il a finalement réussi à marier la belle en 1929 !
Reste toutefois une interrogation : que signifient les lettres « DP » sur les cachets de cire apposés par la demoiselle Buisson en 1922 ? En effet, si le D pourrait être l’initiale de Denise, le P n’est pas celle de Buisson !
Retour aux archives du Loir et Cher pour retrouver l’acte de mariage du couple, mais datant de moins de 100 ans il n’est pas encore disponible : seule la visite en mairie pourrait permettre de visionner cet acte. La recherche sur Geneanet (et d’autres sites généalogiques) à propos de Denise Buisson est guère plus fructueuse (on ne gagne pas à tous les coups !) car on ne trouve qu’un acte d’inhumation au cimetière d’Ivry (94) en 1967.
Une recherche sur le site de l’INSEE ne donne rien : les décès y sont tous recensés … mais à partir de 1970 seulement ! On apprend tout de même sur le registre d’inhumation que la défunte (Veuve Debourges) avait 70 ans le 10 novembre 1967 : elle est donc née entre le 11 novembre 1896 et le 10 novembre 1897 … mais où ? Pas à Ivry, ni à Vitry, ni encore à Montoire (rien sur les tables décennales) …
Les recherches s’arrêtent là : qui aurait une idée ? Quelqu’un saurait-il aller consulter l’acte de mariage à Montoire ? Laissez vos commentaires !
Pour écrire la fin de cette enquête, évoquons leur décès : Émile Debourges est décédé le 3 janvier 1944 à Vitry-sur-Seine (Val de Marne). Il était chef de bureau à la mairie. Il a été inhumé au cimetière d’Ivry-sur-Seine (Val de Marne). Son épouse est décédée le 8 novembre 1967 à Vitry-sur-Seine. Elle était institutrice. Le couple a eu un fils André Debourges né en 1933 et décédé en 2008. Il existe une descendance.
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Les valeurs déclarées étaient (et sont toujours) des objets qui étaient traités de manière très formelle par La poste;
La boite était fournie par l’expéditeur, elle devait être fermée par un croisillon de ficelle et sur 4 faces revêtue d’un tampon de cire avec un motif. Si le tampon de cire n’était pas apposé par l’expéditeur, c’est le postier qui faisant chauffer une sorte de bouilloire contenant de la cire, une fois fondue elle était appliquée sur la boite et un tampon métallique était apposé sur la cire chaude. Attention aux brulures !
L’indication du poids était obligatoire, elle figurait sur la VD et était contrôlée à l’arrivée; Une histoire circulait indiquant qu’à une époque, des plaisantins expédiaient des blocs de glace en VD avec des valeurs importantes. A l’arrivée, la VD était vide et l’expéditeur se faisait rembourser la valeur. Mais peut-être n’est-ce qu’une légende.
La valeur déclarée était inscrite en toutes lettres « mille francs » et pour l’étranger la mention étaient inscrite en francs or, valeur mondiale de l’UPU
Pour l’acheminement, elle était était décrite sur la feuille d’accompagnement de la dépêche, dite feuille 12, et aussi bien au centre de tri, que dans les ambulants ferroviaires qu’à l’arrivée c’était la première action à effectuer : contrôler que le nombre de VD inscrites sur la feuille d’accompagnement était correcte et que descriptions des VD correspondaient à celles qui étaient reçues. Si ce n’était pas le cas commençait une enquête ……………
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