L’Afrique de Pierre Savorgnan de Brazza

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Italie 2005 – YT2800

Italien de naissance et Français d’adoption, Pietro Paolo Savorgnan di Brazza aura vécu une existence bien remplie. Explorateur de l’Afrique, idéaliste jusqu’à la naïveté, il dénoncera des années durant, les crimes d’une colonisation dont il fut pourtant l’un des premiers responsables. Voici son histoire …

Il y a des envies de se frotter au monde qui naissent dans les bibliothèques, et Dieu sait que celle des Savorgnan de Brazza était riche. Pietro, le gamin qui se glisse si souvent entre les piles de livres qui encombrent la demeure de la vieille et noble famille italienne, n’aime rien tant que les récits de

voyages. Les cartes d’Afrique, surtout, le fascinent avec leurs terrae incognitae, vastes et pâles étendues et vierges de toute indication.

Qu’y a-t-il à découvrir dans ces terres inconnues ? Le virus ne quittera plus Brazza. Vite décidé à se faire marin, il opte pour des études à l’École Navale de Brest et en sort avec le grade d’enseigne de vaisseau. Son premier voyage l’emmène en Algérie, où la violence de la répression française contre la révolte kabyle le heurte profondément ; pourtant, quand la guerre de 1870 éclate, il choisit de servir la France et embarque sur un cuirassé, en mer du Nord avant d’être naturalisé français en 1874. Fini Pietro, place à Pierre Savorgnan de Brazza.

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Deux ans plus tard, le jeune officier trouve une première occasion de s’illustrer en Afrique de l’Ouest en remontant le cours de l’Ogooué, dont personne ne sait si le courant se confond ou non quelque part avec celui du fleuve Congo – un mystère vieux de quatre siècles. Brazza s’enfonce à l’intérieur des terres où son assurance fait merveille, mais il est finalement stoppé par les Bafourous, un peuple qui le reçoit fraîchement : le dernier Blanc qu’ils ont vu passer, le britannique Henry Stanley, leur a laissé le souvenir brutal d’un homme violent. Bilan : si Brazza a bien prouvé que le Congo et l’Ogooué sont deux fleuves différents, il n’a pas pu remonter à la source du premier.

Traité de dupes au Congo

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Afrique Equatoriale 1936 – YT23

Un nouveau voyage va offrir à la France un empire entier. De 1879 à 1881, Brazza explore les régions situées entre le Gabon et le lac Tchad en tant qu’agent de l’Association Internationale du Congo, lancée par le roi des Belges. Officiellement, son objectif est scientifique et humanitaire. Officieusement, elle cache un intérêt plus terre à terre que Brazza, convaincu d’être l’avant-garde d’une mission civilisatrice, porte sans états d’âme.

Et en septembre 1880, Brazza signe au nom de la France un traité avec Illo, makoko (souverain) d’un royaume Téké qui s’étend des deux côtés du fleuve Congo. Derrière le prétexte commercial, un jeu de dupes : l’accord réduit de fait un pays de 100 000 kilomètres carrés au rang de protectorat français…

Dans la foulée, Brazza installe en octobre 1880 un avant-poste à Nkuna, sur les rives du Congo. L’explorateur ne le sait pas encore mais il vient de poser deux premières pierres d’un coup : celle d’une future capitale qui portera son nom, Brazzaville ; celle aussi de ce qui deviendra l’Afrique Équatoriale Française, une colonie de 2,5 millions de kilomètres carrés…

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Un qui tire une tête de six pieds de long, c’est le roi des Belges qui lorgnait la zone et avait plus ou moins chargé Stanley d’aller lui acheter le Congo… À 39 ans, l’Anglais passe pour un bien beau pinpin dans toute l’Europe, et son commanditaire avec.

Léopold et Stanley peuvent bien tempêter : lors de cette foire à la découpe de l’Afrique qu’est le congrès de Berlin, les puissances européennes avalisent, en 1885, la mainmise française sur la rive droite du Congo.

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Les crimes et la vertu

Brazza poursuit son exploration du bassin du Congo avant de se muer en administrateur. Et soyons clairs, c’est sans états d’âme. Au contraire : humaniste sincère, il croit en la mission civilisatrice d’une France bienveillante, bien vendue par Jules Ferry. Sous son impulsion, l’exploration et la conquête du Congo français, qui regroupe le Gabon, le Congo et la Centrafrique sont achevées en dix ans.

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Afrique Equatoriale 1952 – YT228

Si l’esclavage est vite banni, Brazza ne tarde pas à déchanter en constatant que la « mise en valeur », pour reprendre la sémantique de l’époque, cache des appétits moins nobles. Pour développer ce territoire plus vaste que la France, Paris confie son développement à 40 sociétés privées. Brazza est aux premières loges pour en constater les dérives, dans un territoire exploité dans le sang : travaux forcés, traitements indignes, réquisitions, amendes, répression brutale…

On pourra toujours taxer Brazza de naïveté, mais il a le mérite de dénoncer ces exactions. C’est un homme célèbre dont la voix porte : à Paris, on décide de s’attaquer au problème en… virant Brazza, mis à la retraite d’office.

Écœuré, l’explorateur s’installe à Alger, d’où il continue de témoigner régulièrement des horreurs que ses amis lui rapportent.

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De la dynamite autour du cou

Le 14 juillet 1903, dans un fort de l’Oubangui-Chari, deux officiels français, George Toqué et Fernand Gaud, assassinent un ancien guide en lui attachant de la dynamite autour du cou. Abominable, le crime fait d’autant plus scandale que les deux hommes ne sont condamnés qu’à cinq ans de détention. Confronté à la colère d’une partie de l’opinion, le pouvoir ne peut plus ignorer le problème.

Loubet

Emile Loubet Poste enfantine

Émile Loubet rappelle alors Brazza en 1905 pour lui confier une mission parlementaire qui s’annonce ravageuse. Sur place, Brazza rassemble des preuves accablantes et rédige un rapport suffisamment explosif pour qu’il l’expédie en France dans le double fond d’une valise conçue par Vuitton lui-même.

Mais la mission sera sans retour. Physiquement épuisé, moralement abattu par les dérives d’une colonisation qu’il croyait noble, il s’éteint à Dakar sur la route du retour.

Brazza mort, il devient beaucoup plus simple d’ignorer ses alertes. Par une invraisemblable tartufferie, la IIIe République réussit l’exploit de célébrer l’explorateur sur tous les tons au moment où elle enterre son rapport. Sa veuve ne s’y trompe guère et refuse le Panthéon.

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Afrique Equatoriale 1952 – YTPA55

Même mort, Brazza voyage : d’abord rapatrié et enterré au cimetière du Père Lachaise, sa dépouille rejoint ensuite les hauteurs d’Alger où on l’enterre, jusqu’en 2006. Cent ans après sa mort, son cercueil est transporté à Brazzaville à la demande de ses descendants. Il y repose depuis, au cœur d’un pays où il laisse un souvenir ambigu et controversé, loin du portrait sans nuance qu’on traçait de lui en 1913 dans le Lavisse, incontournable manuel d’histoire de la IIIe République : « Il voyagea dans un grand pays d’Afrique appelé le Congo. Il ne fit pas de mal aux habitants. Il leur parlait doucement, et leur demandait d’obéir à la France. Quand ils avaient promis, il plantait par terre une grande perche, en haut de laquelle on hissait le drapeau français. Cela voulait dire que ce pays-là appartenait à la France. Cela prouve encore que la France est bonne et généreuse pour les peuples qu’elle a soumis. »

Source : Ouest France


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