PHILAPOSTEL Bretagne vous propose de vous conter en 4 épisodes cette tragique aventure qui, bien qu’ayant fortement marqué l’histoire des TAAF, reste souvent méconnue du grand public. C’est après avoir recueilli et regroupé divers documents et informations sur le sujet (voir les sources en fin d’article) que je suis en mesure de vous la présenter aujourd’hui.
« Les oubliés de Saint-Paul », c’est ainsi qu’ont été appelés les gardiens de la « Langouste Française », qui devaient veiller à l’entretien des installations pêchières durant l’hiver austral de 1930, sur l’île aux langoustes, un cratère volcanique redoutable, solitaire et sauvage, émergé entre la Réunion et l’Australie.
Leur destin est symptomatique de la colonisation chaotique des îles australes par la France, depuis que Yves-Joseph de Kerguelen a crû y découvrir le continent d’El Dorado qu’espérait Louis XV.
Raconter le drame qui s’est noué dans cette île Saint-Paul permet à Daniel Floch, journaliste à Ouest-France, d’évoquer l’histoire de ces îles de la Désolation, les Kerguelen, mais aussi Crozet, Saint-Paul bien sûr, ainsi qu’Amsterdam.
Leur épopée humaine est brève, résumée à de multiples naufrages, aux espoirs, excès et erreurs de la pêche australe, puis désormais aux campements scientifiques, les seuls finalement qui savent s’y maintenir, avec le souci de composer avec une nature démesurément inhospitalière.
Une nature démesurément inhospitalière
Le journaliste Floch le fait avec un soin documentaire peu lyrique et le moins d’extrapolations romanesques possibles. Le récit n’en est pas aride pour autant. S’il ne prétend pas accomplir un exploit littéraire, il rend compte de façon alerte et sensible des histoires qui serrent le cœur des gens de mer, ou de ceux, parfois les mêmes, qu’émeuvent les tragédies humaines, ou qu’indignent les injustices sociales.
A Saint-Paul, l’armateur havrais Bossière détient la concession de pêche des langoustes qui y pullulent. Étonnant entrepreneur, pionnier, aventurier, il croit dans le potentiel des terres australes, et malgré les nombreux épisodes tragiques qui ont précédé son entreprise, son projet d’y installer une activité industrielle de pêche prend forme en 1928. La langouste y est pêchée, décortiquée, et mise en boite.
Des dizaines de Bretons sont recrutés à force de promesses de confort sur place et de richesses au retour. Mais leurs rêves se dissipent dès la traversée, dans leur vieux navire où on les exploite déjà, et qui approche des eaux froides du sud, puis se fracassent sur la réalité d’une île hostile où tout est à construire, dans des conditions pénibles. Beaucoup reviennent amers de cette première campagne.
L’usine langoustière
Pourtant à la saison suivante, il se trouve à nouveau des volontaires pour changer de vie, et espérer ramener de cette opération suffisamment d’argent et se sortir de la misère. Bossière a obtenu en plus cette fois le droit de recruter des Malgaches, encore moins coûteux, et des femmes.
Habitation de pêcheur
La pêche est aussi miraculeuse qu’on le prédisait ; les conditions de vie sur l’île bien moins belles qu’il ne l’avait été promis en revanche. Or quand s’est approché l’hiver austral, la campagne de pêche a pris fin, l’essentiel des pêcheurs est remonté sur le bateau qui va les ramener au pays, mais, contrairement à l’année précédente, il est demandé des volontaires pour rester sur place et veiller sur les installations jusqu’à la saison suivante. Nous sommes en mars. Un bateau devra repasser en mai pour ravitailler les gardiens, et d’autres encore, avant la prochaine campagne.
Six Bretons et un Malgache se déclarent prêts pour cette mission : le couple Brunou, Louise et Victor, François Ramamonzi, Emmanuel Puloc’h, Julien Le Huludut, Pierre Quivillic et Louis Herlédan.
Il faut citer le nom de ces jeunes victimes (Louise en est la doyenne du haut de ses trente-deux ans). Ce ne sont pas des personnages de roman. Ces gens ont existé, souffert, et pour quatre d’entre eux, sont morts, du fait de l’inconséquence d’un armateur, de son adjoint, d’un recruteur-contremaître, des actionnaires et des banquiers de la « Langouste Française ». Le livre ne cherche pas le suspens : on sait que la promesse de ravitaillement ne sera pas tenue, que les sept langoustiers vont rester des mois sur Saint-Paul, oubliés de tous, et y désespérer, alors que les symptômes du scorbut leur annoncent une issue fatale.
Il y a d’abord eu cinq morts parmi les prisonniers de cette île sans végétation cultivable : François, Emmanuel et Victor, foudroyés par le scorbut ; Paule, le bébé de Louise et Victor, qui n’a survécu que deux mois ; et Pierre, perdu en mer sans que l’on sache si la houle l’a fait chavirer accidentellement ou, comme l’ont ensuite relaté des journaux de l’époque, s’il a mis lui-même un terme à une mort lente et qui lui paraissait – à tort finalement – inévitable.
Rappelons aussi que des bergers, Normands eux, sont morts au même moment aux Kerguelen, dans l’indifférence en regard du scandale que provoquera le supplice des « Oubliés de Saint-Paul ».
Souvenons-nous enfin que le navire qui est revenu sur l’île pour la nouvelle saison a certes sauvé Louise, Julien et Louis, mais aussi apporté un contingent d’ouvriers malgaches dont plus de trente vont bientôt crever du béribéri.
En métropole, les suites judiciaires scelleront certes le sort des pêcheries Bossière, mais elles aboutiront à des procès indignes, statuant sur des indemnités dérisoires et inéquitables, qui ne seront en outre jamais versées aux Bretons survivants ; ne parlons pas des victimes malgaches … ou simplement de Pierre Quivillic, dont la mort ne pouvait être de la responsabilité de la « Langouste Française »…
Les victimes deviennent coupables de leur sort, aggravé par la méconnaissance des carences dont ils ont souffert, et qui auraient peut-être pu être évitées si…
Mais était-il responsable de laisser sans médecin une telle troupe sur l’île ? Comment a-t-on pu leur promettre de passer en mai pour mieux les convaincre d’accepter la mission, puis les livrer à eux-mêmes neuf mois durant, dans le vent dévastateur et glacial de l’hiver austral ?
C’était au tiers du XXe siècle. Et c’était aussi cela la France d’alors.
A suivre : le navire ravitailleur « Ile Saint Paul » dès jeudi prochain !
Voir aussi : le récit du Télégramme
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